Le discours d’un roi
Noël 1937 se leva sur une aube brumeuse ; on avait annoncé du brouillard. Laurie Logue se leva tôt et emmena son père à la gare de Liverpool Street, afin de prendre le train pour Wolferton, la station la plus proche de Sandringham, dans le North Norfolk, où le roi passait Noël en famille.
C. J. Selway, responsable des passagers de la zone sud de la compagnie ferroviaire britannique London & North Eastern Railway, s’était occupé des préparatifs pour son voyage. Selway avait envoyé à Logue un aller-retour en troisième classe, ainsi qu’un permis l’autorisant à voyager en première classe dans les deux sens. Un compartiment avait été réservé pour lui en première classe, au nom de M. George, dans le train de 9 h 40. Le chef de gare vint s’assurer qu’il était monté à bord et lui souhaiter bonne chance. Logue était censé regagner Londres dans le train de 18 h 50.
À cause des nappes de brouillard, ils perdirent du temps entre Cambridge et Ely, mais le train entra à toute vapeur dans la gare de King’s Lynn avec seulement un quart d’heure de retard. Deux stations plus loin, à Wolferton, un chauffeur royal attendait Logue sur le quai. Ayant ramassé un grand sac postal de la Royal Mail qui contenait le courrier pour Sandringham, ils prirent le chemin du domaine.
« Rien n’aurait pu être plus charmant ou plus doux que l’accueil chaleureux qui m’a été réservé », se rappela Logue. Une vingtaine d’invités étaient rassemblés dans la salle de réception, d’un beau bois de chêne clair sculpté, avec neuf mètres de plafond et une estrade pour les musiciens. Avant le déjeuner, le roi fit les présentations. Alors qu’ils s’apprêtaient à passer à table, une femme vêtue d’une robe bleu clair s’avança vers lui, tendit la main et dit : « Vous êtes monsieur Logue, je suis très heureuse de faire votre connaissance. » Logue s’inclina devant sa main tendue. Comme il l’inscrivit dans son journal intime, il avait eu « le privilège de rencontrer enfin une des femmes les plus merveilleuses qu’il m’ait jamais été donné de voir : la reine Mary ».
Avant de passer à la salle à manger, les invités firent une halte dans la salle des écuyers, où une maquette présentait le plan de table à l’aide de cartes de visite blanches. Logue constata avec plaisir qu’il serait assis entre la reine et la duchesse de Kent. Le roi était placé en face.
Le déjeuner, se rappela Logue, « était plutôt informel : joyeux, et très amusant ». À 14 h 30, ils regagnèrent la magnifique salle de réception. Mais il ne s’agissait pas uniquement d’une occasion sociale : ils avaient du pain sur la planche. Il rejoignit le roi dans son bureau, la même pièce d’où son père défunt s’était adressé à l’Empire cinq ans plus tôt ; ils discutèrent du texte et passèrent en revue la procédure pour s’assurer que tout était en place. Ensuite ils descendirent dans le grand hall, traversèrent la salle de réception et entrèrent dans la salle d’enregistrement.
La table ovale dont s’était servi George V pour prononcer son discours radiophonique avait été poussée dans un coin. Au centre de la pièce, il y avait un grand bureau avec deux micros, et la lumière rouge au centre. Le roi, avait remarqué Logue, était toujours plus à l’aise et moins gêné dans son expression lorsqu’il pouvait aller et venir ; les clichés de lui en train de poser assis à une table le faisaient toujours rire.
Logue ouvrit la fenêtre afin de laisser entrer l’air frais. Puis il rejoignit R. H. Wood, de la BBC, qui se trouvait dans une pièce voisine. Cet homme tranquille aux cheveux clairs en savait certainement plus sur l’art de la diffusion en extérieur que quiconque en Grande-Bretagne. C’était Wood qui avait planifié l’installation des micros pour le couronnement, ainsi que pour le discours du soir. Il avait aussi été en charge des aspects techniques de la dernière allocution radiophonique de George V, pour laquelle il avait apporté deux micros, des lumières clignotantes et des amplificateurs en cas de panne. Six hommes l’accompagnaient, avec tout l’équipement nécessaire : des instruments, un téléphone et un grand haut-parleur qui leur permettrait d’écouter l’enregistrement du discours relayé par la BBC. Le roi était censé commencer à 15 heures précises.
Malgré le brouillard et l’obscurité, tout
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