Le discours d’un roi
plus de 100 000 enseignants et assistants furent évacués de Londres et d’autres grandes villes en direction des campagnes. Quelque 524 000 autres enfants, plus jeunes, partirent également avec leurs mères. Des sirènes d’alerte aérienne et des ballons captifs furent installés pour protéger les villes. Les fenêtres des maisons devaient être recouvertes de papier de couleur sombre. Des tranchées furent percées dans les parcs ainsi que des abris antiaériens. Ceux qui possédaient un jardin y creusèrent des « abris Anderson », sorte de tunnel dont le toit en tôle ondulée était recouvert de terre. Il était recommandé de creuser jusqu’à au moins un mètre de profondeur.
On redoutait tout particulièrement les armes chimiques. Les gaz de combat avaient fait des ravages dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, et l’on craignait que les Allemands n’en fassent usage contre les populations civiles. Dès qu’il eut déclaré la guerre, le gouvernement fit distribuer près de 38 millions de masques à gaz en caoutchouc noir et lança une grande campagne de propagande. « Hitler n’enverra pas d’avertissement, ayez toujours votre masque à gaz sur vous », conseillait un de ces messages. Toute personne circulant sans masque encourait une amende.
Chez les Logue, comme partout ailleurs, on se préparait au pire. À partir du 1 er septembre au soir, tous les lampadaires restèrent éteints la nuit et chaque foyer dut calfeutrer ses fenêtres afin de ne pas faciliter la tâche aux bombardiers allemands. Le cadet de la famille, Tony, jeune homme athlétique aux cheveux bruns bouclés qui s’apprêtait à fêter ses dix-neuf ans, revint de la bibliothèque du quartier avec un rouleau de papier noir et s’appliqua à empêcher tout rai de lumière de s’échapper de la maison. Par chance, toutes les pièces étaient équipées de volets. Myrtle, qui les avait en horreur et avait longtemps songé à les faire retirer, était à présent bien heureuse de n’en avoir rien fait.
Manquant de papier pour recouvrir toutes les fenêtres, Tony en laissa une sans protection dans la salle de bains. Ce détail paraissait sans importance. Ce soir-là pourtant, alors qu’elle venait de se laver les dents et s’apprêtait à aller se coucher, Myrtle entendit frapper à la porte. Elle ouvrit et deux hommes de la défense passive lui demandèrent en termes courtois d’éteindre la lumière. Myrtle n’avait jamais dormi dans une chambre aussi sombre. Elle se sentait comme « une chrysalide dans un cocon de ténèbres ».
La famille fut toutefois confrontée à un autre problème plus urgent : Thérèse, leur fidèle cuisinière, vivait à Londres depuis dix ans mais était d’origine bavaroise. « Oh, madame, me voilà bien attrapée, il est trop tard pour partir ! » s’écria-t-elle, le visage baigné de larmes. Cet après-midi-là, les deux femmes avaient entendu l’ordre de mobilisation générale à la radio. Thérèse avait alors téléphoné à l’ambassade d’Allemagne et appris qu’un dernier train partirait à 10 heures le lendemain matin. Elle s’était empressée de faire ses bagages.
Dans la maison des Logue, comme partout ailleurs dans le pays, ce climat d’appréhension était heureusement ponctué de moments plus légers. « La bonne a transformé une situation grave en scène des plus comiques, écrivit Logue. Son fils, Ernie, a été envoyé à la campagne hier ; alors qu’elle descendait l’escalier, elle s’est exclamée : “Dieu merci, mon petit Ernie a été excavé !” »
Loin d’être enthousiastes à l’idée de repartir en guerre vingt ans à peine après la fin de la précédente, les Anglais savaient au moins à quoi s’en tenir après la déclaration du 3 septembre de Chamberlain. « C’est un énorme soulagement après toute cette tension, nota Logue. Il y a une volonté universelle de tuer le peintre en bâtiment autrichien. » Dans son journal – qu’il tiendra soigneusement durant sept ans et demi –, le roi exprimait un sentiment similaire : « Au moment où l’horloge a sonné les onze coups fatidiques ce matin, j’ai ressenti un certain soulagement à l’idée que ces dix jours d’intenses négociations avec l’Allemagne à propos de la Pologne – qui avaient semblé par moments prendre un tour favorable avec l’engagement de Mussolini pour la paix – étaient désormais derrière nous 81 . »
De son
Weitere Kostenlose Bücher