Le discours d’un roi
côté, Myrtle s’absorba dans des activités plus prosaïques : elle prépara quatre kilos et demi de confiture de quetsches et mit trois kilos et demi de haricots à saler. Guerre ou pas guerre, il faudrait bien manger. Laurie et sa femme Joséphine – Jo pour la famille – étaient là eux aussi. Myrtle s’inquiétait pour eux : Jo devait accoucher de son premier enfant à la fin du mois (faisant par la même occasion de Lionel et Myrtle des grands-parents). Dans le journal qu’elle commença à tenir à cette époque, Myrtle espérait que Jo ne serait pas « excavée » à son tour.
Quelques minutes à peine après l’annonce de Chamberlain, le son des sirènes de défense antiaérienne – encore peu familier – retentit à travers la capitale. Logue appela Tony, qui réparait son vélo dans le garage, pour qu’il l’aide à fermer tous les volets de la maison. Depuis une fenêtre, ils virent les ballons de barrage s’élever dans les airs, un « spectacle fantastique » aux yeux de Logue. À quelques kilomètres de là, le roi et la reine furent tout aussi surpris d’entendre le terrifiant hurlement des sirènes. Tous les deux se regardèrent en disant : « Ce n’est pas possible. » C’était pourtant bien la réalité et ils descendirent, le coeur battant, s’abriter au sous-sol. Là, raconte la reine, ils se sentirent « pétrifiés et horrifiés et [s’assirent] en attendant les bombes 82 ».
Aucune ne tomba cette nuit-là, et, près d’une demi-heure plus tard, l’alerte était levée. Le couple royal regagna sa demeure, tout comme ceux qui avaient la chance d’avoir accès à un abri. Il s’agissait de la première d’une longue série de fausses alertes, les raids aériens tant redoutés ne commençant véritablement qu’avec le Blitz , soit presque un an plus tard.
La première nuit de la guerre commença comme toutes les autres. La seule différence que Myrtle nota fut l’absence de programmes à la radio où l’on ne passa que des disques. À 3 heures du matin, une deuxième alerte aérienne retentit, et tous se précipitèrent dans la petite cave de la maison. « Nous ne ressentons que de l’irritation, écrit Myrtle dans son journal. C’est une chose étrange de voir comment nous réagissons. Nous ne sommes ni effrayés ni pris de panique, seulement profondément agacés d’être dérangés de la sorte. »
Le pays en était à sa troisième nuit de couvre-feu et l’obscurité provoquait le désordre le plus total dans une ville peu habituée aux ténèbres. Les hôpitaux étaient pleins, non de blessés de guerre mais de gens victimes d’accidents : il y avait ceux qui avaient été renversés par des voitures aux phares voilés, ceux qui s’étaient cassé une jambe en sautant d’un train pour atterrir sur un quai qui n’était pas là, ou encore ceux qui s’étaient tordu la cheville en trébuchant sur un obstacle invisible. Trois ans après avoir obtenu son diplôme, Valentine était devenu chirurgien militaire à l’hôpital St. George, où la situation ne faisait pas exception : il passa toute la première nuit de la guerre à opérer des gens victimes d’accidents dans les rues de Londres.
Maintenant que la guerre était déclarée, Logue savait qu’il aurait un rôle important à jouer auprès du roi. Hardinge l’avait appelé le lundi précédent, 25 août. « Tenez-vous prêt à venir au palais », lui avait-il dit. Logue ne lui avait pas demandé pourquoi. Il était prêt nuit et jour, l’assura-t-il, même si malgré son grand désir de voir et de parler au roi, il espérait sincèrement ne pas être appelé, ne sachant que trop bien ce que cela signifierait.
Le 3 septembre vers midi, Logue reçut le coup de téléphone tant redouté. Eric Mieville, secrétaire particulier du roi depuis 1937, lui expliqua que le roi devait s’adresser à la nation à 18 heures ce jour-là et que sa présence était requise. Laurie conduisit son père en ville, et Logue arriva au palais à 17 h 20.
En ville, tout semblait normal à l’exception des ballons qui renvoyaient des reflets d’un « beau bleu argenté » dans le ciel. Après avoir déposé son père au palais, Laurie fit immédiatement demi-tour pour arriver à la maison à temps pour le discours. Logue laissa son chapeau, son parapluie et son masque à gaz dans le Privy Purse Hall et grimpa l’escalier.
Le roi accueillit Logue dans son bureau privé, la pièce où ils
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