Le Druidisme
de fonctionnement du système :
interdire quelque chose de précis sous-tend immédiatement une valeur positive
non nommée, mais qui doit être accomplie. Mais là encore, en dépit du caractère
obligatoire de l’interdit, l’être humain apparaît libre de son choix, en pleine
possession de son Libre-Arbitre, à ses risques et périls. Le geis celtique n’a rien à voir avec le Fatum gréco-latin. Le Fatum est une entité neutre, anonyme, aveugle, qui plane au-dessus des dieux et des
hommes, mais le geis , par ses composantes
magiques et religieuses, concerne l’individu, et lui seul, dans la prise de
conscience qu’il opère vis-à-vis de lui-même et de la collectivité dont il fait
partie. Mais c’est l’humain qui domine et qui dirige. Cette notion est
fondamentale pour comprendre la pensée druidique, et pour établir des
différences essentielles entre elle et la pensée classique méditerranéenne.
Et c’est en pleine conscience qu’un individu peut se lier
lui-même par le moyen d’un geis :
lorsqu’il fait un serment. À ce moment-là, l’individu est à la fois l’incantateur
et l’objet de l’incantation. Le fait de jurer « par le dieu que jure ma
tribu » donne à l’acte sa dimension sacrée. C’est un engagement solennel
qui prend pour témoins et cautions les dieux, ou encore les forces naturelles,
comme le soleil, les vents ou la terre. Le roi Loégairé, vaincu dans une
bataille, doit promettre de ne plus réclamer de tribut à ses vassaux, prenant
pour garants « le soleil et la lune, l’eau et l’air, le jour et la nuit,
la mer et la terre ». Mais Loégairé ne tient pas son serment, et il meurt,
« à cause du soleil, du vent et aussi de tous ses garants, car personne
n’osait les transgresser en ce temps-là » [297] .
Tout cela montre l’importance exceptionnelle que le druidisme
attachait à la Parole, mais à la Parole vivante, prononcée, psalmodiée,
chantée, criée, et non pas à la parole morte et figée, celle qui est écrite, et
seulement conservée. C’est un peu comme une partition musicale : s’il n’y
a pas de musiciens pour l’interpréter, pour la rendre vivante, elle équivaut au
néant. Un disque, une bande magnétique ne sont rien d’autre que des supports,
mais s’il n’y a pas d’ organe pour en extraire
le contenu, ils ne servent à rien. La puissance de la Parole n’existe pas sans
la Voix qui anime cette Parole, sans un gutuater pour invoquer les forces mystérieuses qui dorment autour de nous et en nous.
C’est le mythe de la Belle au Bois Dormant. C’est aussi le mythe de la
princesse de la Ville d’Is qui, nageant sous la surface de la mer, attend
l’audacieux qui viendra la saisir et qui l’emmènera au-dessus, là où brille le
soleil.
7) TOTÉMISME ET CHAMANISME
Les techniques rituelles utilisées par les druides se
réfèrent à des traditions qui paraissent fort anciennes, mais qui ne sont pas
forcément un héritage indo-européen. Les Celtes, disons-le encore une fois,
n’étaient qu’une minorité, et ils ont dû composer avec les populations
autochtones de l’Europe occidentale lorsqu’ils sont venus s’y établir. Il est
donc impossible de ne pas découvrir de survivances préhistoriques dans le
druidisme. C’est évident pour le concept de divinité solaire féminine. C’est probable
quant à la divinité qui porte le nom de Cernunnos. C’est possible pour ce qui
concerne le rôle des animaux – et aussi des végétaux – dans la mythologie, du
moins dans les récits où interviennent fréquemment des êtres à forme animale ou
portant des noms d’animaux. On est donc tenté de parler de totémisme.
La question a été controversée. Au début du siècle, où
l’influence du Rameau d’Or de Frazer était
prépondérante, la tendance était d’admettre le totémisme chez les Celtes, eu
égard aux nombreuses interventions animales dans les récits épiques.
Actuellement, la tendance est plutôt caractérisée par un rejet de la présence
d’éléments totémiques dans la religion druidique. Mais ce rejet ne semble pas
justifié, et s’il est certain que des noms d’hommes sont composés à l’aide de
noms d’animaux en vertu de la valeur symbolique que leur confèrent ces animaux,
il y a des éléments qui ne peuvent guère s’expliquer que par un certain
totémisme.
Par définition, le totémisme est une croyance qui admet
l’existence d’ancêtres animaux dont un individu ou un
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