Le Druidisme
évolution d’un devenir qui confond à la fois le créateur et les
créatures.
La spirale est la marque la plus nette de la métaphysique celtique.
Mais elle peut être une marque générale, englobant dans sa signification
symbolique l’ensemble de la démarche spéculative entreprise par les druides. Il
en reste sans aucun doute quelque chose dans le fameux « Jeu de
l’Oie », image de la quête , mais aussi du
cosmos à l’intérieur duquel évolue l’individualité humaine, avec sa lente ascension
vers le centre, ses hésitations, ses retours en arrière, ses attentes
prolongées, ses errances [349] . Et
dans le domaine de l’art, considéré non comme un support mais comme un
vocabulaire essentiel de la pensée spéculative, la spirale a été le motif celtique
par excellence, renforcée par son triplement dans le triskell. Or, la triade,
d’une façon générale, que ce soit en art ou en mythologie, est, chez les
Celtes, « une manifestation de la multiplicité en tant que notion
subordonnée à l’unité » [350] . Tout
est paradoxal. La destinée des êtres et des choses est fixée d’avance, mais
elle est susceptible de modifications. L’unité profonde des êtres et des
choses, du sujet et de l’objet, est une donnée impérieuse, mais cette unité est
cependant multiple.
La pensée druidique, vue à travers ce qu’en ont dit les auteurs
de l’Antiquité classique, à travers les récits irlandais et gallois, les romans
arthuriens et également les contes populaires traditionnels, qui en sont les
continuations, se caractérise par un refus total du
dualisme sous toutes ses formes. Sur un plan qui est familier, celui de
la Morale, on ne peut en effet remarquer de distinction nette entre le Bien et
le Mal. Le péché est inconnu de la tradition
druidique . Il y a seulement faute quand un individu se révèle incapable
d’accomplir ce qu’il doit accomplir, quand il est incapable d’assurer son
propre dépassement. Mais cette notion de faute se réfère davantage à la
constatation de la faiblesse de l’individu plutôt qu’à la transgression d’une
norme établie d’avance et répertoriée. Il ne peut pas y avoir de liste de
péchés capitaux ou non, mortels ou véniels, dans la morale druidique. Il y a ce
qui permet d’accomplir son propre destin ou le destin de la communauté, et ce
qui empêche d’aller vers cet accomplissement. Les empêchements sont donc extérieurs
à l’individu. Ou bien l’individu n’a pas suffisamment conscience de la
difficulté, il n’est pas suffisamment préparé, il manque d’informations. Il
peut aussi se tromper de route, mais c’est toujours par manque de clairvoyance.
Tout individu digne de ce nom doit devenir lui-même un authentique druide,
c’est-à-dire un « très voyant », un « très savant ». Il n’y
a donc pas d’attitude négative au contraire, c’est un encouragement perpétuel à
l’action et à la perfection. C’est en fait la définition de la morale, qui, au
fur et à mesure des emprises religieuses diverses, en particulier celle du
christianisme, est devenue un répertoire de ce qu’il ne faut pas faire,
c’est-à-dire une négation de l’action, par acceptation passive de la loi. En ce
sens, les interdits, les gessa , ne sont jamais
négatifs : ils se contentent d’exprimer la limite au-delà de laquelle un
individu risque de s’égarer. N’oublions pas que les gessa concernent un individu et non la collectivité : il n’y a aucune référence
à une norme abstraite et définitive.
Cette absence de frontière entre le Bien et le Mal exprime
la relativité des choses. Une action peut être bonne ou mauvaise selon la façon
dont on la conduit et non par rapport à une échelle de valeurs objectives et
absolues. Et si l’on déplace la notion sur le plan de la Métaphysique, on peut
constater qu’il n’y a pas, là non plus, de Bien ou de Mal absolus. Les Celtes
n’ont jamais imaginé un Dieu du Bien faisant la guerre à un Dieu du Mal, et inversement.
La lutte des Tuatha Dé Danann contre les Fomoré est la prise de conscience de
l’ordre face au désordre, c’est tout. Et cela n’implique aucune morale. Les
dieux de la mythologie celtique ne sont ni bons ni mauvais. Ils sont. Et comme tous ces dieux représentent des
fonctions attribuées à la divinité absconse et absolue, il faut bien convenir
que ce grand Dieu suprême n’est pas conçu, lui non plus, comme bon ou mauvais.
En réalité,
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