Le Druidisme
il est les deux, puisque la notion de mal ne pourrait exister sans
la notion de bien et inversement. De même, la vie est impossible sans la mort,
et la mort dans la vie, le jour est inexistant sans la nuit, et la nuit sans le
jour. Et Dieu, le grand Dieu innommable, n’existe pas sans ses contradictions
internes, en l’occurrence sa création. L’Œuf de Serpent exprime admirablement
cette vision druidique de la Totalité.
Cela explique de nombreux comportements prêtés aux
Celtes : le mépris de la mort, l’ardeur de vivre, une certaine gouaille,
une communion constante avec la nature (que le christianisme a contribué à
étouffer complètement en faisant de l’homme le roi de la création), une
tranquille a-moralité, une sérénité métaphysique, une confiance aveugle dans la
liberté humaine, et aussi un refus évident de considérer le réel comme un absolu. Car, au-delà du réel , il y a autre chose, et la distinction
aristotélicienne entre réel et irréel ne peut pas être formulée. Il en sera de même
pour ce qu’on appelle la Vérité, et que le christianisme a toujours voulu
prêcher comme étant l’unique, la seule, la sienne. Pour les Celtes, il n’y a
pas de Vérité absolue et révélée, puisque la vérité n’est que le résultat d’un
jugement porté par l’esprit à un moment donné de l’histoire. Par conséquent, il
n’y a aucune dichotomie entre le vrai et le faux, chacun des deux termes se
révélant exact selon les circonstances.
La pensée druidique a peut-être été le seul exemple connu de
tentative de système philosophique où le monisme soit intégral.
3) L’ESPRIT ET LA MATIÈRE
Une conséquence particulièrement importante résulte de cet
état d’esprit moniste : la distinction fondamentale entre Esprit et
Matière n’existe pas. Les tenants du Spiritualisme pur, prônant la primauté de
l’Esprit créateur de la Matière, sont aussi ridicules que les tenants du Matérialisme
qui cherchent désespérément à prouver que l’Esprit surgit de la Matière. Pour
les Celtes, ce n’est qu’un faux problème. L’Esprit est la Matière, et la Matière est l’Esprit.
L’apparente dualité n’est que le résultat de la relativité du monde :
l’Esprit qui ne bute pas contre la Matière ne pense pas et ne sait pas qu’il
existe. C’est le même problème que pour le Dieu innommable et absolu. L’Esprit
n’est qu’une apparence fonctionnelle de la totalité de l’Être, la Matière étant
une autre apparence fonctionnelle découlant du dédoublement ou de l’éclatement
du Soi primitif. Dans la doctrine druidique,
l’accent est mis sur l’action. Or l’action est l’énergie manifestée. Tout est
énergie, la Matière comme l’Esprit, les deux termes jouant leur rôle
spécifique, irrémédiablement liés l’un à l’autre. Le corps est alors considéré
comme une manifestation provisoire de l’Esprit qui affirme ainsi son existence,
quitte à manifester celle-ci par d’autres moyens quand il le jugera utile.
Aussi peut-on imaginer d’autres vies, et même d’autres formes de vie.
Mais dans le monde des relativités qui est celui de la vie actuelle,
la matière équivaudrait au chaos si on la laissait se développer de façon
anarchique. C’est ce qu’exprime le mythe des Fomoré, ou des mythes équivalents,
comme les monstres, les dragons, les êtres dits maléfiques lorsqu’on recourt à
la morale judéo-romano-chrétienne. Quand Lug tue son grand-père Balor, il
affirme la prédominance de l’Esprit évolué sur la Matière brute et brutale. Lug
organise la matière dont il est le petit-fils ,
affirmant par là qu’il est un dans sa dualité .
Le tout est de prendre conscience de la puissance infinie de l’Esprit : et
là, seuls les héros sont capables de tirer le meilleur parti de cette
puissance. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont des héros. Et c’est pourquoi
les premiers saints du christianisme celtique seront des héros. Depuis l’Œuf
Cosmique primordial, l’univers n’a pas cessé d’évoluer, et l’Esprit s’est
lentement dégagé de sa gangue qui l’étouffait et l’empêchait de réfléchir,
c’est-à-dire d’agir. Il peut parvenir au suprême degré et participer lui-même à
la transformation de l’univers. Car la charge de l’univers revient à chacun des
êtres qui le composent. En langage sociologique, on traduirait cela par le
terme « autogestion ». Mais pour que toute autogestion
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