Le Druidisme
surtout de combats
intérieurs et aussi de « joutes oratoires ». On en a des exemples
dans l’épopée irlandaise, et le texte de Lucien ne fait que confirmer
l’observation impartiale des textes irlandais, gallois et même des romans
arthuriens.
Cela dit, la description de l’Ogmios gaulois, dieu de
« l’éloquence puissante », permet de mieux comprendre certains textes
latins ou grecs qui mentionnent la passion effrénée des Celtes pour
l’éloquence. « Dans leurs discours, ils sont menaçants, hautains et portés
au tragique » (Diodore de Sicile, V, 31). Ils ont d’ailleurs « une
éloquence qui leur est propre » (Pomponius Méla, III, 2). On comprend
aussi pourquoi les Romains avaient la terreur de voir arriver une horde de
Gaulois, car ceux-ci faisaient entendre des « chants sauvages » et
des « clameurs bizarres » (Tite-Live, V, 37). D’ailleurs,
« l’aspect de l’armée gauloise et le bruit qui s’y faisait les glaçaient
d’épouvante. Le nombre des cors et des trompettes était incalculable ; en
même temps, toute l’armée poussait de telles clameurs que l’on n’entendait plus
seulement le son des instruments et les cris des soldats, mais que les lieux
environnants qui en renvoyaient l’écho semblaient ajouter leur propre voix à ce
vacarme » (Polybe, II, 29). On ne peut que penser au héros irlandais
Cûchulainn : « Cûchulainn saisit ses deux lances, son bouclier et son
épée, et de sa gorge, fit sortir le cri du héros… Il jetait un cri égal à celui
de cent guerriers » ( Tain Bô Cualngé ).
N’insistons pas, les exemples sont innombrables. Au fond, cette éloquence est magique . C’est par sa force magique qu’elle enchaîne
les hommes. D’où l’image d’Héraklès. Car le Mars celtique est un guerrier qui
doit être fort, même si cette force n’est pas celle des armes, mais celle de la
Parole. Et contrairement à Nuada-Nodens qui est le guerrier royal, prisonnier
des lois – car le roi celtique n’est pas au-dessus des lois, il en est
l’esclave –, le visage de l’Ogmios décrit par Lucien est nettement
varunien : c’est par la Parole magique, voire par la ruse, comme le fait
l’Odin germanique, qu’il peut vaincre ses ennemis. Or Ogmios n’est pas inconnu
des Irlandais. Lui aussi se trouve dans l’état-major des Tuatha Dé Danann,
presque sous le même nom. Il s’agit d’Ogmé, le champion.
Cet Ogmé, qui se distingue lui aussi dans la bataille de Mag
Tured, est un personnage complexe. Ses allures de champion en font
indiscutablement un guerrier, un homme fort. Mais il passe aussi, en Irlande,
pour l’inventeur de l’écriture dite ogamique .
Cette écriture, on le sait, qui consiste en une série de signes horizontaux
répartis autour d’un axe vertical, est en fait une adaptation de l’alphabet
romain et ne peut pas remonter plus haut que le début de l’ère chrétienne. En
tout cas, les ogam , s’ils ont été souvent
considérés, comme les runes scandinaves, lesquelles ne remontent pas non plus
plus avant, sous l’angle uniquement magique, n’ont rien qui puisse justifier
des gloses interminables. L’écriture ogamique n’a rien d’ésotérique, et s’il
est évident qu’elle a servi aux druides et aux satiristes pour des opérations
de type magique, c’est parce que toute écriture, selon la pensée celtique, a
des pouvoirs magiques. Partant de là, il est inutile de considérer Ogmé comme
une sorte d’Hermès Trismegiste, dépositaire des grands secrets celtiques. De
plus, le nom d’Ogmé n’a probablement rien à voir avec l’ ogam . Mais il est significatif qu’on ait prêté à ce
dieu varunien, lieur et charmeur , l’invention
de l’écriture. D’ailleurs, à Brégenz, on a retrouvé deux tablettes d’exécration
où Ogmios est invoqué contre des individus nommément désignés, un peu comme
dans les actes de sorcellerie où le Diable est en somme l’exécuteur des Hautes
Œuvres. À ce compte, le fait d’écrire une malédiction sur du bois ou sur de la
pierre, acte comparable à la fabrication de certaines runes scandinaves, était
une chose très grave. Un ancien texte irlandais nous dit : « Le père
de l’ Ogam est Ogmé, la mère de l’ Ogam est la main, ou le couteau d’Ogmé » [122] . Et
l’auteur du texte en profite pour décrire un peu plus Ogmé, « homme très
savant en langage et poésie, qui inventa l’ ogam » [123] . Nous
voici revenus à l’Ogmios de
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