Le Druidisme
seulement de
quelques vers essentiels : « non pas des poèmes se suffisant à
eux-mêmes, mais articulations, repères rythmiques dans des développements en
prose dont le sens, seul, était traditionnel » [268] .
Les récits irlandais et gallois, dans leur composition, nous indiquent en effet
que les auteurs ont surtout brodé à partir de schémas-types, intercalant
parfois des formules toutes faites, indiscutablement apprises par cœur, et des
parties en vers qui témoignent d’un modèle parfois très archaïque. Mais il faut
aller plus loin.
Incantations
On oublie trop souvent que, pour être efficaces, certaines
formules dites magiques doivent être prononcées d’une certaine façon, selon un
certain rythme, selon une certaine cadence. Dans les campagnes, même à l’heure
actuelle, fort nombreux sont ceux qui possèdent, sinon le Grand Albert , du moins le Petit
Albert , ou, comme on dit en Bretagne, l’ Agrippa .
Ces manuels de magie pratique sont constamment réédités. Il y a donc beaucoup
de gens à connaître des formules et des gestes à accomplir. Mais la façon de
dire les formules ? Aucun manuel ne peut l’apprendre. C’est cela qui
constitue le « secret ». Et il n’est transmis par ceux qui savent
qu’à ceux qu’ils ont choisis. Si l’on veut comprendre le druidisme, il faut
peut-être penser à cela. Une formule apprise par cœur, répétée sans erreur, n’est rien si on ne sait pas la dire. C’est là que
résident l’initiation et la transmission des pouvoirs. Cela ne peut se faire
que par la Parole orale. La voix met en jeu des vibrations, des fréquences, des
éléments subtils qu’en aucun cas on ne peut décrire. C’est par la vibration que
se transmet quelque chose, c’est par la vibration que s’effectuent les
mystérieux échanges qui sont à la base de toute magie opératoire. Dans tout
rituel, il y a prédominance de la Parole, dans les cérémonies catholiques comme
dans les autres, et plus encore peut-être, à condition que soient respectées
les règles [269] . La
puissance de la Parole est à ce prix.
Quand un membre de la classe druidique entreprenait une
incantation, il accompagnait son texte de musique, soit que cette musique
provînt d’un instrument comme la harpe, soit qu’il utilisât seulement la
psalmodie ou le chant. De plus, l’incantation ne serait pas efficace si elle
était prononcée sans rapport avec des gestes ou des postures particulières.
Dans la bataille de Mag Tured, Lug chante un chant magique devant les Fomoré
« sur une seule jambe, avec un seul œil (et d’une seule main), en faisant
le tour des hommes d’Irlande » [270] .
C’est alors qu’intervient la circumambulation, qui semble avoir été un procédé très
précis chez les Celtes. On s’en rend déjà compte avec les récits sur la
reddition de Vercingétorix. César lui-même ne donne pas de détails, mais
Plutarque ( César , 27) décrit ainsi la
scène : « Vercingétorix, ayant pris ses plus belles armes et orné son
cheval… décrivit un cercle autour de César assis et, sautant au bas de son
cheval, il jeta ses armes. » Il en est de même chez Florus (III, 10) et
chez Dion Cassius (XL, 41). Il n’est pas douteux que Vercingétorix accomplisse
ainsi un rituel. Mais nous n’avons aucune explication de celui-ci. Le but
devait être de s’assurer une sorte de possession symbolique de César, et il est
vraisemblable que Vercingétorix a accompli son cercle de droite à gauche.
En effet, l’orientation celtique prend comme base le lever
du soleil, c’est-à-dire l’est. Devant, c’est l’est, à gauche, c’est le nord,
côté sinistre (c’est le sens du mot latin sinister ), à droite, c’est le sud, côté lumineux,
derrière, c’est l’ouest. Mais en fait, il n’y a que trois points cardinaux
visibles : le quatrième est inexistant parce qu’on ne peut le voir et il
est considéré comme l’Autre-Monde, le monde invisible. Le nord est donc le côté
maléfique, obscur. La christianisation accentuera cette tendance : ce sera
le côté diabolique [271] .
Posidonios affirme que, pour adorer correctement les dieux, il faut se tourner
vers la droite [272] . En
fait, le sens normal, vital, suit la marche du soleil. Quand le file Amorgen, le premier Gaël à débarquer en
Irlande, quitte le bateau, il prend soin de mettre le pied droit en premier sur
la terre, et il chante alors une incantation qui constitue une prise de
possession de
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