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Le Druidisme

Le Druidisme

Titel: Le Druidisme Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Markale
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l’Irlande [273] .
    Lorsque Cûchulainn doit partir pour son dernier combat, son
cheval se tourne trois fois « du côté gauche vers lui », ce qui est
mauvais signe. Le cocher le Cûchulainn fait alors accomplir au char un tour
vers la droite, mais cela ne servira à rien [274] . Lorsque
le druide Athirne, l’« Importun d’Ulster », veut manifester ses
intentions mauvaises vis-à-vis des hommes d’Irlande, il commence son voyage par
la gauche, c’est-à-dire, en quittant l’Ulster, par l’ouest, le Connaught [275] . La
logique de cette circumambulation est implacable. L’est, en face, est l’horizon
de la naissance. Le sud, à droite, est le cours normal de la vie, dont l’ouest,
derrière, est la conclusion, le royaume des morts, l’Autre-Monde qui est
invisible parce qu’on ne peut pas le voir. Mais le nord, à gauche, est le pays
du froid et de l’ombre : aller à l’ouest par le nord est donc rompre
l’harmonie cosmique, aller à contre-sens, et c’est s’exposer aux pires ennuis.
    Ainsi accomplie en respectant scrupuleusement l’expression
vocale et la gestuelle, l’incantation possède un pouvoir redoutable. Avant la
bataille de Mag Tured, le poète Cairpé dit : « Je ferai la
malédiction suprême contre eux. Je les satiriserai et leur ferai honte, si bien
qu’ils ne résisteront pas aux guerriers à cause des incantations de mon
art » [276] . Au
moment de son dernier combat, Cûchulainn aperçoit deux hommes qui se battent.
Un poète-satiriste lui dit alors : « honte sur toi si tu ne parviens
pas à les séparer ! » L’incantation oblige Cûchulainn à obéir. Il tue
les deux hommes et s’empare du javelot pour lequel ils se battaient. Mais le
javelot est l’arme magique préparée de longue date pour faire mourir Cûchulainn,
et celui-ci, sous le coup d’une nouvelle incantation, est obligé de s’en
séparer [277] . Dans
le récit de la Tain Bô Cualngé , la reine
Medbh, pour obliger Ferdéad à lutter contre Cûchulainn, « envoya les
druides, les incantateurs et les magiciens pour le tenir, et les trois glam dicin pour provoquer les trois boutons sur son
visage, injure, honte et faute. Et il mourrait tout de suite ou avant neuf
jours s’il ne venait pas » [278] . Le glam dicin est la malédiction suprême, le « cri
obligatoire ». Nous le retrouvons dans la tradition galloise, dans le plus
ancien texte littéraire arthurien, Kulhwch et Olwen .
Le héros Kulhwch cherche à pénétrer dans la salle où Arthur préside le festin,
mais le portier lui déclare qu’il n’entrera pas s’il n’apporte pas son art avec
lui. En désespoir de cause, Kulhwch dit alors au portier que s’il n’ouvre pas
la porte il répandra honte à son maître, et à lui déconsidération :
« Je pousserai trois cris tels à cette porte qu’il n’y en aura jamais eu
de plus mortels depuis Pengwaedd, en Kernyw, jusqu’au fond de Din Sol, dans le
nord, et à Esgeir Oervel, en Iwerddon : tout ce qu’il y a de femmes
enceintes dans cette île avortera ; les autres seront accablées d’un tel
malaise que leur sein se retournera et qu’elles ne concevront jamais
plus » [279] . Il faut
savoir que, dans le droit gallois du X e  siècle,
le diaspad , c’est-à-dire le « cri perçant »,
était un moyen légal de protestation, mais son caractère magique et religieux
ne fait aucun doute : il s’agit de la même sorte d’incantation
obligatoire.
    On remarquera que la puissance de l’incantation agit sur la
réputation de l’individu qui est visé : s’il n’obéit pas à la demande
magique, il supportera le blâme et la honte, et c’est cette honte, symbolisée
souvent par une maladie ou une déformation physique, qui conduit le
récalcitrant à la mort. L’incantation est peut-être magique, mais elle est
avant tout sociale  : il y va de la
dignité humaine, de la dignité de l’individu devant la société. C’est une
conception très originale, et qui montre à quel point le druidisme met en
valeur l’être humain, et paradoxalement sa liberté d’action : car, quand
bien même l’incantation est obligatoire, l’individu reste libre de choisir, à
ses risques et périls. Cela montre également la puissance de la Parole, et à
travers la Parole, la puissance du Souffle. On comprend alors pourquoi les
Romains, d’après ce que raconte Tite-Live, avaient si peur des hordes gauloises
qui envahissaient l’Italie en poussant des clameurs

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