Le Druidisme
D’après le texte latin de la Vie de
saint Kentigern , écrite au début du XII e siècle,
Lailoken, qui vit dans la forêt, pour expier ses fautes, déclare un jour à
saint Kentigern qu’il mourra « de coups de pierres et de bâtons ».
Kentigern veut en savoir plus. Lailoken lui dit qu’il mourra percé d’une broche
de bois, mais qu’il mourra également noyé par l’eau. Effectivement, poursuivi
par les pâtres du roi qui lui jettent des pierres et le frappent de leurs
bâtons, Lailoken tombe sur les rives abruptes d’une rivière et se noie,
transpercé par un pieu aigu que des pêcheurs avaient placé à cet endroit [288] .
Il faut d’ailleurs se souvenir que le Merlin de Geoffroy de
Monmouth et du Roman de Merlin est un
personnage qui éclate de rire quand on lui pose une question. Ensuite, il
répond par énigmes, ou bien il répond à côté, apparemment du moins. Il y a une
sorte de dérision dans le rire de Merlin, comme si toute prophétie ne devait
pas être tenue pour vrai, ou comme si la vision de l’avenir était une déraison.
Il est évident que nous sommes là dans le domaine de l’irrationnel, et que,
pour pénétrer dans ce domaine, il faut casser quelque chose, provoquer une
rupture. Le rire de Merlin est une provocation. En fait, la réponse doit être
trouvée par celui qui pose la question, le devin n’étant que l’opérateur d’un
acte qui met en contact l’individu avec l’Autre-Monde. En ce sens, le rire,
comme la voix, permet d’abolir le temps. Car c’est seulement en abolissant le
temps relatif qu’on peut pénétrer les secrets de l’avenir, celui-ci n’étant pas
autre chose que du passé encore indéfini. L’art de la divination a été compris
par les Celtes comme étant la maîtrise du temps et de l’espace considéré comme
un absolu unique et pourtant multiple.
Et si la divination a nécessairement un rapport avec
l’incantation vocale, que dire de ce mystérieux procédé qu’on appelle geis en irlandais ? Le mot est en fait
intraduisible. On pourrait le rendre par « tabou » si la connotation
n’était pas trop liée aux civilisations du Pacifique. Il vaut mieux utiliser le
mot « interdit », encore que cela insiste exclusivement sur l’aspect
négatif de la chose. En effet, par nature, les gessa (pluriel de geis ) ont un caractère
ambigu : la valeur positive peut apparaître derrière l’aspect négatif et
inversement.
Il s’agit d’une incantation prononcée par un druide, par un
membre de la classe sacerdotale, poète ou musicien, et parfois par un individu
isolé, le plus souvent une femme, considérée alors comme une prophétesse, une
poétesse, une satiriste ou un être féerique. Ainsi, l’héroïne Déirdré, promise
au roi Conchobar, tombe amoureuse du beau Noisé, et s’offre à lui. Mais Noisé
n’a pas envie de s’attirer d’ennuis de la part de Conchobar. Il la refuse.
Alors Déirdré « s’élance sur lui et le prend par les oreilles : Voici
deux oreilles de honte et de moquerie, dit-elle, si tu ne m’emmènes pas avec toi ! » [289] .
Noisé ne peut pas faire autrement que d’obéir à la terrible injonction, ce qui,
plus tard, causera sa perte. Il en est de même pour Grainné, la femme – ou la
fiancée – de Finn mac Cumail. Elle jette son dévolu sur Diarmaid, un jeune
guerrier vassal de Finn. Diarmaid la refuse. Alors, Grainné, après avoir
endormi tous les convives d’un banquet par un philtre magique, lui lance ce
défi : « Je te place sous un geis de
danger et de destruction, ô Diarmaid, si tu ne m’emmènes pas avec toi hors de
cette maison, cette nuit avant que Finn et les chefs d’Irlande ne se lèvent de
leur sommeil » [290] . À
contrecœur, Diarmaid emmène Grainné. Ils sont poursuivis par Finn et les Fiana . Mais Diarmaid n’a pas de rapports sexuels
avec Grainné. Un jour, celle-ci lui lance un nouveau geis qui est une provocation magique mettant en doute sa virilité : Diarmaid
est alors obligé de connaître charnellement Grainné [291] .
Cela n’est pas sans faire penser à la légende de Tristan et
Yseult, et éclaire d’un jour nouveau l’amour de ces deux héros malheureux
récupérés par la sensibilité romantique. Grainné est en effet le prototype
irlandais d’Yseult la Blonde. Elle est la femme-soleil, le dernier visage de
l’ancienne divinité féminine du Soleil. Si l’on relit attentivement la légende,
en particulier les épisodes archaïsants du
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