Le Fardeau de Lucifer
d’un nouveau coup du destin, il était hors de danger. Il ne lui restait qu’à guérir et à réapprendre à vivre.
Quelques heures plus tard, le malade ouvrit les yeux et parcourut la pièce du regard, visiblement désorienté. Lorsqu’il fut revenu à lui, il parut surpris de nous voir là.
— Peste de Dieu. Vous avez des faces de mi-carême, tous les deux. Que se passe-t-il ? demanda-t-il faiblement. Ma panse s’est rouverte ?
Pernelle et moi nous regardâmes, indécis. Ni elle ni moi ne voulions lui annoncer que plus jamais il ne marcherait sur deux jambes comme un homme, comme un guerrier. Mon amie m’adressa un regard plein de détresse, plaidant silencieusement pour que je la dispense de cette responsabilité. Je soupirai, acceptant implicitement la pénible tâche. Pernelle m’adressa un sourire reconnaissant et quitta la pièce. Je m’agenouillai près de la paillasse et posai une main sur son avant-bras. Je pouvais y sentir l’os sous la peau, tant il avait maigri.
— Maître, commençai-je. Je. j’ai une terrible nouvelle à vous annoncer. Vous devez être courageux.
Je lui expliquai de mon mieux la situation. Montbard n’étant pas homme à endurer des faux-fuyants, je fus franc et direct. Il écouta sans montrer la moindre émotion, son œil valide fixé sur moi. Lorsque j’eus terminé, il se redressa péniblement dans le lit et étira le cou pour voir ses pieds, incrédule. Il n’aperçut que le droit.
Ce jour-là, je vis le terrible Bertrand de Montbard, l’homme qui m’avait enseigné la violence, mais aussi le courage et la droiture, pleurer à chaudes larmes. Instinctivement, je l’empoignai et le serrai contre moi, comme on réconforte un petit enfant vulnérable, le laissant mouiller ma chemise de ses larmes. Il finit par s’endormir dans mes bras, d’épuisement ou de désespoir, je ne saurais le dire. Je le reposai doucement sur sa paillasse et essuyai mes joues, qui s’étaient mouillées elles aussi, sans que je m’en rende compte. Je me relevai, profondément ébranlé. Pernelle était revenue et se tenait appuyée contre le chambranle de la porte.
— Prends-en bien soin, implorai-je d’une voix tremblante.
— Je te le promets.
Je sortis et filai droit à ma chambre. Je ne désirais que dormir et tout oublier pour quelques heures. Je me laissai tomber tout habillé sur ma couche et sombrai dans un sommeil aussi profond que la mort.
Les deux semaines qui suivirent furent pour moi une éternité dans laquelle je n’existai que dans un état second. Montbard n’émergea que ponctuellement de l’inconscience pour boire et manger un peu et satisfaire ses besoins naturels. Pernelle avait beau m’expliquer que le choc avait été grand et qu’à son âge il lui faudrait du temps pour récupérer, je n’avais de cesse de m’inquiéter. Je le voyais littéralement fondre sur sa couche, ses muscles jadis massifs maintenant émaciés lui donnant un air fragile. Mais il restait en vie et je m’accrochais à cet espoir.
Seule Memento dissipait temporairement mon tourment. Comme promis, j’avais réservé ses premiers coups à Ravier. Le templier avait souri en me voyant approcher et avait fait quelques pas pour venir à ma rencontre. Il tira aussitôt son arme et se mit en garde.
— Voyons ce que vaut cette lame qui nous a tant fait suer.
Je brandis Memento, trop heureux de la tester enfin. Il ne
fallut que quelques coups et quelques parades pour confirmer mes espoirs. Elle était si parfaite que j’avais l’impression qu’elle était le prolongement naturel de mon bras et de ma main. Je bloquai avec aisance les coups de Ravier puis, lorsqu’il fut fatigué, ceux d’Eudes et, enfin, d’Ugolin. Malgré les semaines de mauvais sommeil, jamais mon bras ne me parut lourd. Lorsque nous eûmes terminé, le Minervois demanda à voir mon arme.
— Ce qu’elle est belle, s’exclama-t-il en la testant dans le vide. Où as-tu trouvé cette splendeur ?
— Je l’ai forgée moi-même, dis-je, non sans fierté.
— Vraiment ?
— Vraiment.
Il ne fallut pas longtemps pour que Memento gagne en réputation parmi les forces de Montségur - et moi aussi, par la même occasion. Ceux qui demandaient à m’affronter se multipliaient et ressortaient tous impressionnés. Après quelques jours, je fus amusé de voir apparaître des copies de mon épée.
À l’entraînement, je me faisais un devoir de me vider
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