Le Fardeau de Lucifer
tu légueras à ton successeur en l’avisant de faire de même, et ce, jusqu’au jour de la Révélation.
Pour ta gouverne, sache d’abord que l’Ordre des Neuf doit en tout temps être formé de Neuf membres dirigés par un Magister, qu’il soit homme ou femme, dûment élu par suffrage des frères et sœurs. Chaque membre sera un descendant des familles fondatrices qui ont été à l’origine du retour de la Vérité en terre natale : Payns, Bisor, Saint-Omer, Montdidier, Gondemare, Saint-Agnan, Montbard, Raffle et Foix. Toutefois, s’il le juge à propos ou en cas de force majeure, le Magister exercera son jugement en ces matières et pourra désigner des membres qui n’en sont pas issus, ou modifier le nombre de membres. Dans tous les cas, ses décisions et son jugement, prononcés sous l’abacus, seront sans appel de son autorité comme de sa propre soumission, le serment des Neuf sera garant. Dura lex, sed lex 3 .
N’oublie jamais que la protection de la Vérité est la seule raison d’être de l’Ordre et rien ne doit primer sur elle, pas même la vie des Neuf Elle doit être le seul guide de tes décisions jusqu’à la réunion des deux parts. Celle-ci ne pourra être décrétée que par le Cancel-larius Maximus, à sa seule discrétion. Le moment venu, il remettra son sceau au Magister de son choix, faisant de lui le Lucifer, porteur de la Lumière divine.
Le Lucifer partira alors sans attendre pour Toulouse. Sous la parole divine, il trouvera une dalle portant le sceau, y déposera un mot annonçant son arrivée et attendra ses instructions.
La tâche qui t’échoit est lourde et je prie Dieu pour qu’il t’arme de courage et te mène à bonne fin.
Robert de Sablé Ordo IX, Commandeur de la cité de Jérusalem, en l’An du martyre de Jésus 1187.
Je relus un passage qui m’avait donné le frisson : Lucifer, porteur de la Lumière divine. L’archange déchu qui avait été chassé du Paradis pour s’être rebellé contre Dieu. La possibilité de porter un jour son nom me donnait la chair de poule. Mais ne serait-il pas approprié qu’un damné soit identifié au grand tentateur ? Je déposai le parchemin sur le plateau et restai songeur. J’y trouvais autant de questions que de réponses. Méthodiquement, je fis le décompte de ce que je pouvais en tirer.
Il confirmait d’abord l’envoi de la Vérité depuis Jérusalem en l’an 1187, que je connaissais par le récit de Montbard lui-même et par le discours qui m’avait été tenu lors de mon initiation. Il affirmait ensuite l’existence de deux Ordres distincts, tel qu’on me l’avait laissé entendre lors de ma première présence dans le temple des Neuf, chacun étant dirigé par un Magister responsable d’une partie de la Vérité et ignorant tout de l’autre. Le parchemin confirmait surtout la réalité du Cancellarius Maximus et le fait qu’il agissait comme une sorte de supérieur inconnu régnant sur les deux Ordres. Lui seul était habilité à décider de la réunion des deux parts, ce qui me contrariait fort puisque je me retrouvais soumis à son bon vouloir. Au moins, je détenais une piste concrète : Toulouse, sous la parole divine, quel que soit le sens de cette nouvelle parabole. Là, sous le sceau, se trouvait la cache qu’avait utilisée Ravier pour demander conseil sur sa succession. Et une réponse lui était venue. Le Cancellarius Maximus était donc aux aguets et il était possible d’entrer en contact avec lui. L’avance des croisés étant inexorable, peut-être pourrais-je le convaincre de réunir les deux parts pour les mettre en sécurité loin du Sud. Une fois que j’aurais en main toute la Vérité, je serais mieux en mesure de la protéger.
Mon regard se porta vers l’autel, sous lequel gisait, avec celui de Daufina, le cadavre d’Albin de Hautpoul. Le messager avait affirmé que Simon de Montfort poursuivait sa marche à la tête des armées papales et qu’il se présenterait bientôt devant Toulouse. Si cela se produisait et que les croisés prenaient la cité, l’accès au Cancellarius Maximus me serait irrémédiablement coupé. Peut-être l’Église connaissait-elle même son existence ? Je savais déjà qu’elle était sur la piste de la Vérité. En l’interpellant avant moi, elle causerait ma perte. La pire erreur que je pourrais commettre était de sous-estimer les connaissances d’Arnaud Amaury. S’il existait la moindre chance qu’il suive la même piste que moi,
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