Le faucon du siam
cicatriser les plaies en
utilisant de nouvelles herbes venues d'Europe. C'est dommage que je ne sois pas
autorisée à quitter le palais, sinon... » Elle leva soudain les yeux vers la
princesse. « À moins, bien sûr, que Votre Altesse Royale ne fasse une exception
et n'autorise les gardes à me laisser lui rendre brièvement visite. Je suis
certaine que le traitement ne prendrait pas longtemps. Et, dès l'instant où je
serai de retour, je serai prête à rendre visite à Sa Majesté... »
L'enthousiasme de la princesse l'emporta sur son souci de
se plier aux règles sévères du palais : aucune concubine n'était autorisée à en
franchir les portes.
« Je vais le faire immédiatement, dit-elle. Je vais en
outre donner l'ordre au capitaine Somsak de te permettre deux sorties. » Elle
eut un sourire complice. « Il te faudra peut-être aller voir encore une fois le
chirurgien pour qu'il s'assure que la plaie est convenablement cicatrisée.
— Oh, merci, Votre Altesse », dit Thepine, éperdue de
reconnaissance. Elle se prosterna et insista pour sortir en rampant à reculons,
malgré la princesse qui protestait et disait qu'elle allait encore se faire
plus mal au genou.
Dans le courant de la journée — même si, en théorie, il
était pratiquement impossible pour une concubine royale de sortir de l'enceinte
du palais durant toute sa vie —, Thepine, boitillante, présenta au capitaine de
la garde fort étonné un billet portant le sceau royal de Sa Majesté la reine
princesse. Quelques instants plus tard, elle passait en claudiquant la porte
principale et se dirigeait vers le quartier hollandais. Une fois hors de vue,
elle cessa soudain de boiter et changea de direction. Le cœur battant, elle
partit vers l'enceinte portugaise dressée hors des murs de la ville.
Son corps tout entier était baigné de sueur et elle se
demanda quelle était la part de la crainte et celle du désir. Cela faisait si
longtemps qu'elle ne l'avait pas vu : en fait, depuis que le vieux capitaine de
la garde avait été congédié pour s'être laissé acheter, notamment par elle. Et
voilà maintenant que d'après les rumeurs son amant était de retour. Elle priait
de toutes ses forces que ces bruits fussent fondés.
Après ce qui lui parut un dédale interminable de venelles
et de tournants, elle déboucha dans une petite rue où toutes les maisons
étaient en briques et bâties suivant l'étrange architecture des farangs.
C'était là qu'il habitait et elle sentit les battements de son cœur
s'accélérer. En approchant, elle aperçut des lumières dans la maison. Toute
tremblante, elle frappa à la porte de son amant.
Fébrilement, elle attendit sur le perron. Mille pensées
se bousculaient dans son esprit : cette escapade pourrait lui valoir d'être
dévorée par les tigres. Non, c'était le châtiment d'une concubine royale pour
adultère avec un Siamois. Au palais, il y avait une punition pour chaque faute,
liée à la nature du crime lui-même. Elle avait une fois assisté à la mort par
les tigres, supplice réservé aux crimes les plus graves. Les gardes avaient
ligoté les prisonniers à des poteaux dans un champ et disposé les bêtes
affamées dans des cages où pendant des jours on ne leur donnait aucune
nourriture : mais on nourrissait régulièrement les prisonniers devant les
tigres. Les bêtes affamées hurlaient toute la nuit, rendues folles par ces
odeurs. Puis, au lever du jour, les gardes les avaient libérées, attachées à
des chaînes juste assez longues pour leur permettre d'atteindre les membres des
prisonniers. Les fauves avaient commencé par dévorer les mains et les pieds des
victimes. Puis on leur avait laissé une plus grande longueur de chaîne et peu à
peu elles les avaient dévorées vivantes. Il n'y avait assurément pas de
précédent pour l'adultère avec un farang. Peut-être allait-on l'attacher à une
broche et la faire rôtir à feu doux avec son amant? Cela en valait-il vraiment
la peine? Oh oui, se dit-elle: jamais elle n'avait connu pareils transports
sinon avec cette brute. Elle eut un sourire cynique. Après tout, c'était le
Seigneur de la Vie qui lui avait donné l'ordre de se renseigner sur les
farangs. Si elle s'en tirait vivante, elle pourrait du moins rapporter à cette
fille du Sud — comment s'appelait-elle déjà? Sunida, avait dit le Seigneur de
la Vie —, elle pourrait lui rapporter de première main tout ce qui concernait
leurs désirs érotiques.
Là-dessus, elle
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