Le faucon du siam
superbe. Elle
pouvait assurément rivaliser avec toutes les beautés d'Avuthia. Mais l'avait-il
perdue? Quelque horrible tragédie était-elle survenue pour les séparer? Cette
pensée le mettait à la torture.
Depuis son départ de Ligor, il s'était promis de demander
de ses nouvelles ou même de partir lui-même à sa recherche dès que l'occasion
s'en présenterait. Mais le temps et les circonstances l'en avaient empêché.
Sunida lut l'angoisse sur son visage. Mieux valait lui
dire la vérité, ou du moins ce qu'elle en savait, sans enfreindre sa promesse.
Peut-être aurait-il quelque solution à proposer. Mais devait-elle le faire sur
le marché? Elle n'avait guère le choix. Ce devait être ici. Elle ne pouvait pas
bouger sans que le garde du palais l'aperçoive : il attendait juste de l'autre
côté de la porte. Elle avala sa salive.
« J'ai juré, mon Seigneur, de ne pas révéler où
j'habitais. Et, même si c'est vous que j'aime et vous seul qui occupez mes
rêves, on m'a promise à un autre. À... à un mandarin d'Avuthia. »
Phaulkon était atterré. Un autre homme? Un mandarin?
Était-ce vrai? Il vit à l'expression de Sunida que telle était la vérité. Il
sentait battre son cœur dans ses tempes. Il ne pouvait pas permettre une chose
semblable. Comment cela était-il arrivé?
«Qui est cet homme, Sunida? Où l'as-tu rencontré ? »
Sunida baissa la tête. « La chose a été arrangée, mon
Seigneur. C'était... le souhait de mon oncle. Je ne peux m'y opposer. Il m'a
élevée comme son propre enfant et je lui dois tant. Je vous en prie, mon
Seigneur, essayez de comprendre.
— J'essaie, Sunida, mais tu ne m'aides guère. Tu
veux dire qu'aussitôt après mon départ le gouverneur t'a fiancée à un mandarin
d'Avuthia? Es-tu déjà mariée? demanda-t-il, redoutant la réponse.
— Pas encore, mon Seigneur », répondit Sunida,
évitant toute autre explication. Elle ne voulait pas lui mentir, mais elle
avait juré de ne jamais dévoiler la mission que lui avait confiée le Palais.
« Et pourquoi ton oncle a-t-il si soudainement pris ces
dispositions?
— Mon Seigneur, je vais vous dire la vérité. Mon oncle
connaissait mes sentiments pour vous et, se souvenant que c'étaient les... les
farangs qui avaient
causé la mort de son frère, il a estimé que ce serait une
insulte à la mémoire de mon père si vous et moi... devions poursuivre nos
relations. Il pressentait que nous ne manquerions pas d'essayer de nous revoir.
Il m'a donc envoyée à Ayuthia pour prendre des leçons d'étiquette et me
préparer à en épouser un autre. »
Elle hésita, se demandant si elle devait répéter les
paroles de son oncle : « À quelqu'un de ma race. »
Si pénible que fût pour tous les deux cette situation,
Sunida était soulagée d'avoir dit la vérité à Phaulkon : elle avait répété mot
pour mot les propos de son oncle. Elle ignorait totalement que tout cela
faisait partie du plan du gouverneur : il s'agissait de rendre sa situation
d'autant plus convaincante aux yeux de Phaulkon.
« Mais où habites-tu maintenant? interrogea Phaulkon, le
cœur brisé.
— J'ai prêté serment, mon Seigneur, de ne pas le
révéler. Je vous en prie, n'insistez pas. »
Les pensées se bousculaient dans l'esprit de Phaulkon.
« Viens chez moi, Sunida. Là nous pourrons parler
tranquillement. Ce n'est pas le bon endroit, ici. » Il remarqua que la cliente
venait de payer et s'apprêtait à partir.
« Je ne peux pas faire cela, mon Seigneur. On me suit
partout où je vais.
— Des serviteurs de ce mandarin? »
Sunida garda le silence, comme si elle acquiesçait.
« Allons, Maître, vous n'allez pas harceler cette pauvre
fille, non ? » fit Sri, impatiente de reprendre sa place dans la conversation.
Phaulkon ne répondit pas. « Si l'entrée principale est
gardée, nous pourrions passer par une autre sortie », insista-t-il.
Sunida hésita, déchirée entre le désir et le devoir. Elle
mourait d'envie d'avoir quelques instants de solitude avec Phaulkon, mais elle
ne pouvait guère tenter d'échapper au garde et il était tout aussi inutile de
demander à ce dernier si elle pouvait se rendre dans la demeure d'un farang. Il
n'aurait pas l'autorité nécessaire pour lui octroyer une telle permission.
Mais peut-être demain? Une vague d'espoir l'envahit.
Peut-être alors pourrait-elle obtenir l'autorisation. Elle demanderait son aide
à Thepine : juste la permission de rendre visite à un vieil ami.
Elle
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