Le faucon du siam
gou-verneur-generacd diminuer son pays aux
yeux des visiteurs. Pour les Siamois, il était en effet inconcevable qu'un pays
qui se respecte puisse fonctionner ou se considérer comme une puissance sans
avoir de roi à sa tête.
L 'opperhoofd attendit avec patience que le rire de
Van Risling se calme, puis il perça Phaulkon du regard.
« Quoi qu'il en soit, heer Phaulkon, une dépêche
expresse décrivant vos activités a été adressée à Son Excellence heer Rijcklof Van Goens, avec mes commentaires. Le gouverneur-generaal tient
généralement compte de mes avis et, comme le dagh-regisîer est parti
voilà un mois, Son Excellence aura certainement abordé cette affaire avec le
chef de votre Compagnie anglaise à Bantam. » Il s'interrompit et l'esquisse
d'un sourire passa sur ses lèvres.
« Votre bureau ici est, je crois, sous l'autorité de
Bantam? Selon les règles de conduite sur lesquelles nos deux gouvernements se
sont mis d'accord, j'ai vivement recommandé l'arrêt de toutes vos activités au
Siam. » Durcissant son regard, il ajouta : « Sous menace de sévères
représailles de notre part. Je suis certain, heer Phaulkon, qu'étant
donné les circonstances nous n'allons pas tarder à être privés de votre
présence. »
Phaulkon ricana. « Bantam n'a pas le pouvoir de prendre
une telle décision, heer Faa. Les ordres viennent de plus haut.
— De Madras ? » demanda Faa.
Une série de cris de bêtes en rut retentit dans les
forêts avoisinantes. Phaulkon se tourna dans leur direction. «Aimez-vous la
chasse, heer Faa? demanda-t-il poliment.
— Godverdorie! s'exclama Van Risling, le sang
lui montant au visage. Vous allez répondre à heer Faa quand il vous pose
une question. Il a un rang plus élevé que le vôtre.
— Je ne suis pas hollandais, heer Van Risling
: son rang ne me concerne donc pas.
— A vrai dire, j'aime beaucoup la chasse », répondit
Aarnout Faa avec une politesse appliquée, laissant Van Risling marmonner
furieusement dans sa barbe. « Aussi bien la chasse aux éléphants qu'aux tigres,
et parfois, ajouta-t-il avec un léger sourire, aux fourmis qui osent défier la
Verenigde Oostindische Compagnie. J'adore les voir écrasées. »
Le directeur résident hollandais tourna la tête et
concentra son attention sur l'arène. Van Risling avait raison, songea-t-il. Ce
Phaulkon était un homme impudent et d'une assurance excessive, mais sans doute
quelqu'un dont il fallait tenir compte, bien plus que de son supérieur
immédiat, le falot Burnaby. Mais qu'est-ce qui avait donné à cet homme une
telle assurance? Que pouvait-il espérer accomplir? L'Asie du Sud-Est était une
enclave hollandaise. Quant à Ayuthia, la Compagnie exportait du bois, des
madriers et du plomb à Formose, de la cire et de l'huile de coco à Malacca, du
sucre, de 1 etain et du poivre en Inde. Avec le Japon, le marché le plus
lucratif de tous, la Compagnie avait un monopole — garanti par traité — pour
l'exportation des peaux de daims. Cela lui assurait le contrôle de l'article
qui rapportait le plus d'argent dans tout le commerce d'exportation d'Ayuthia.
Même s'il était vrai que le bois de sampang permettait quinze cents pour cent
de bénéfice sur le prix d'achat, il était volumineux à transporter alors que
les peaux, même avec trois cents pour cent seulement de bénéfice, faisaient
plus que combler la différence par leurs énormes quantités. Cette année déjà,
il s'attendait à expédier pour la première fois au Japon plus de cent mille
peaux : à moins, bien sûr, que le clergé bouddhiste n'exige une nouvelle
suspension du massacre des daims, comme il le faisait périodiquement. Ou à
moins que la présence d'un éléphant blanc dans les forêts n'arrête
provisoirement toute chasse dans la région.
L 'opperhoofd eut un soupir d'impatience. L'heure
était venue de tirer le maximum de sa position et d'empocher la récompense que
méritaient des années de dévoués services. Maintenant que le nouveau gou-verneur-generaal avait tenu compte de son avis et annulé la décision
d'expédier d'abord les peaux à Batavia, il pouvait les exporter directement
vers le Japon. Il avait prévenu le gouverneur qu'entreposer les peaux dans le
climat humide de Java, c'était risquer de les abandonner aux attaques des vers
: les deux premières cargaisons avaient d'ailleurs été pratiquement anéanties
par les vers en attendant d'être transbordées à Batavia. Les Japonais étaient
exigeants et leur
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