Le faucon du siam
parler la langue ne doit pas vous faciliter le maintien d'un contact
étroit. »
Van Risling se redressa de toute sa taille et se mit à
renifler d'un air furieux comme si c'était lui que l'on avait attaqué, alors
que Yopperhoofd tressaillait à peine et gardait son calme.
« Comme je l'ai dit précédemment, cela m'intrigue de
savoir comment vous vous êtes procuré nos canons, heer Phaulkon.
Agissiez-vous pour votre propre compte ou bien cela fait-il partie de quelque
plus vaste projet des Anglais pour nous discréditer?
— Les Siamois et les Anglais travaillent de concert
à vous discréditer, heer Faa. Pour ensuite vous supplanter. C'est
pourquoi les Anglais ont été invités à reprendre le commerce. C'est pourquoi
aussi, membre de la Compagnie anglaise, je me suis vu offrir un poste au
ministère du Commerce. Nous allons saper votre pouvoir, mijn heer. Anglais et Siamois poursuivent maintenant le même but.
— Ha, ha! Elle est bien bonne! » Van Risling eut un
rire rauque et tous les Siamois situés à côté d'eux tournèrent la tête. « Alors
les Siamois fournissent maintenant des canons à leurs propres ennemis de
Pattani? Intéressante politique. Ha, ha! »
Phaulkon ne releva pas. Si seulement Yopperhoofd avalait
l'hameçon, se dit-il. Alors, lui, Phaulkon, aurait fait un pas de plus vers son
objectif.
À présent, Sunida ne devait plus être bien loin de
Mergui. Si elle parvenait à contacter Samuel à temps et si toute l'expédition
vers la Perse se soldait par un succès, alors les Siamois seraient peut-être
mieux disposés à accepter son projet d'une flotte locale commandée par des
capitaines anglais au service du Siam. Et les Hollandais pourraient bien à leur
insu accélérer alors le processus. Plus ils se heurtaient au Siam, plus tôt on
pourrait lui demander de réaliser
son projet. Phaulkon espérait qu'Aarnout Faa allait
rapporter mot pour mot ses paroles dans le célèbre dagh-register et
provoquer ainsi des représailles hollandaises contre les Siamois. Le dagh-register, ou journal quotidien, symbole de l'esprit méticuleux des
Hollandais, accompagnait chaque navire regagnant Batavia. Il contenait des
états complets des chiffres du commerce, des tendances politiques et
économiques, des transcriptions de conversations intéressantes et tout type
d'information concernant une succursale ou une autre. Les Hollandais
n'omettaient aucun détail et rien n'apparaissait trop indifférent pour ne pas
figurer dans le dagh-register. Les avant-postes et les factories de la
VOC à Amboina, Banda, aux Moluques, à Ceylan, à Malacca, à Macassar, au
Cambodge, à Formose, au cap de Bonne-Espérance, à Coromandel, à Surac, à
Malabar, à Jaffnapatnam, et bien d'autres, fournissaient à la direction de la
Compagnie à Java une documentation volumineuse et précise sur tout ce qui
concernait la région. La suprématie hollandaise s'alimentait aux renseignements
contenus dans les dagh-register : c'est pourquoi il était difficile de
défier l'empire hollandais. Le gouvemeur-generaal connaissait les
cadeaux à offrir aux fonctionnaires de tel pays et savait à quel moment les
faire. La densité du trafic des navires transportant les précieux journaux
permettait à Batavia d'être au courant des événements bien avant la
concurrence.
Dans le cas d'Ayuthia, Batavia n'était qu'à vingt-cinq
jours de bateau et les vastes pouvoirs confiés au gouverneur-generaal en
faisaient aisément le dirigeant farang avec lequel il était le plus commode de
traiter. Le monarque siamois aussi bien que le Pra Klang entretenaient avec lui
une correspondance régulière. Comme les lettres à destination de l'Angleterre
et de l'Europe mettaient sept mois pour aniver à destination — quand elles y
parvenaient —, la VOC de Batavia avait le pouvoir de signer des traités, de
lever des troupes, de bâtir des forteresses et de nommer des fonctionnaires au
nom du gouvernement hollandais. Aucune directive nouvelle n'était venue du
Général
des États, le gouvernement de Hollande, depuis 1650,
quelque trente ans plus tôt. La VOC était pratiquement un royaume à elle seule,
dont le gouverneur-generaal était le roi sans couronne. Phaulkon sourit
sous cape. La Hollande était gouvernée par un Général des États mais on avait
persuadé le prince d'Orange d'assumer le titre de roi, chaque fois qu'il
recevait une délégation siamoise ou qu'il répondait à une de leurs lettres. On
ne pouvait pas laisser le
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