Le faucon du siam
présence.
« Monsieur Potts ? » Pas de réaction. « Monsieur Potts ?
» répéta Aarnout Faa. Le regard de Potts se déplaça légèrement dans sa
direction, puis s'arrêta sur l'homme qui venait de parler. « Monsieur Potts,
m'entendez-vous ? » Une vague lueur s'alluma dans le regard de Potts. Ses
lèvres remuèrent un peu mais sans qu'aucun son n'en sortît. Comment un homme
dans son état pouvait-il signer un document? se demanda Faa avec inquiétude. Il
avait peut-être les bras libres, mais avait-il encore toute sa tête?
« Comme... comme c'est aimable à vous de... de venir me
voir. » Les mots sortirent, entrecoupés et inattendus, des lèvres parcheminées.
Potts avait la voix rauque et, de toute évidence, parler représentait pour lui
un effort. Sa tête, mal protégée par ses cheveux clairsemés, était couverte de
vilaines taches rou-geâtres là où le soleil tropical avait impitoyablement
frappé. Faa éprouva un soudain sentiment de révolte devant la brutalité des
Siamois. Il ôta son chapeau et le posa doucement sur la tête de Potts. Un
murmure désapprobateur monta de la foule qui l'observait, bouche bée. Bien sûr,
se dit Faa, encore la tête : l'extrémité sacrée du corps ! Personne ne devait
la toucher, pas même avec un chapeau. Il ignora le murmure qui montait. De
toute façon, il était maintenant trop tard pour faire quelque chose.
« Écoutez, monsieur Potts, nous allons veiller à ce que
l'on vous relâche, vous m'entendez? » D'un battement de paupières, le prisonnier
fit comprendre qu'il avait entendu. Faa remarqua que les paupières étaient
aussi gravement brûlées par le soleil. C'était scandaleux. Il en parlerait au
Barcalon. Les Siamois ne se rendaient-ils pas compte que les Européens avaient
la peau bien plus sensible qu'eux? Ils ne pouvaient pas s'exposer longtemps au
soleil, et surtout pas à celui, brûlant, des tropiques. Il allait insister
énergiquement pour que l'on gardât au moins le prisonnier à l'intérieur.
« Monsieur Potts, j'ai rédigé un document décrivant les
événements qui ont abouti à votre regrettable incarcération. J'ai expliqué
comment, à votre arrivée ici, vous aviez trouvé tous les agents anglais
absents. Comment, alors que vous aviez fini par retrouver M. Phaulkon et exigé
d'examiner les livres de la Compagnie, celui-ci a mis le feu à la factorerie
pour détruire la preuve de ses activités illégales. Est-ce que vous me suivez?
»
Une vague lueur de compréhension passa de nouveau dans le
regard de Potts.
« Monsieur Potts, vous devez absolument signer ce
document, pour confirmer que le contenu en est exact. Désirez-vous que je vous
le lise? »
Potts baissa les paupières : c'est tout ce qu'il était
capable de faire en signe de dénégation.
« Merci, monsieur Potts. Vous pouvez être assuré que le
contenu est en tout point conforme à ce que je vous ai dit. J'ai un vaisseau
qui attend de lever l'ancre pour Batavia dès que j'aurai apporté à son bord
cette lettre revêtue de votre signature. Voulez-vous me permettre de vous
aider? »
Faa plaça une plume dans la main de Potts, mais les
doigts étaient sans force et elle tomba par terre. Il fallut cinq autres
tentatives avant que Potts parvienne
enfin à griffonner quelque chose qui ressemblait
vaguement à son nom. L'effort l'avait épuisé.
« Dans mon courrier accompagnant le document, j'ai
demandé à Son Excellence le gouvemeur-generaal d'envoyer immédiatement
deux dépêches par exprès. L'une ici au Barcalon, réclamant votre libération
immédiate au nom de la longue amitié entre le Siam et la Hollande. L'autre à la
Compagnie anglaise, à Madras. Grâce aux deux, nous obtiendrons votre liberté,
monsieur Potts, je puis vous l'assurer. Ne désespérez pas. En attendant, je
vais insister pour que le Barcalon améliore les conditions de votre détention.
Ce Phaulkon paiera son crime. »
Un moment, les yeux de Potts exprimèrent plus d'émotion
qu'il n'en avait jamais montré durant tout l'entretien. Une haine farouche y
apparut à la mention du nom de Phaulkon.
« Qu'est-ce qui se passe, Joop? On dirait que vous venez
de voir un fantôme. » Aarnout Faa était entré dans son bureau, soulagé de
savoir sa lettre en sûreté à bord du Kurfendam. Le navire allait
appareiller d'un instant à l'autre.
« C'est pire que cela, monsieur », répondit Van Risling.
Il regarda son chef d'un air consterné. « Ce porc de Phaulkon a été nommé
mandarin,
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