Le faucon du siam
risque ma peau en annonçant un
pacte militaire non autorisé — car c'est à cela que revient votre traité — avec
le plus puissant monarque d'Europe, dans le vague espoir qu'un mandarin grec de
la cour de Siam puisse persuader un souverain oriental et quelques millions de
ses sujets de changer de croyance? Je ne suis pas un joueur, monsieur, mais je
dirais que les chances sont contre moi.
— Il me semble que c'est vous qui êtes d'abord venu
solliciter mon concours, mon Père. Rappelez-moi donc encore une fois : pour
quoi donc êtes-vous venu me voir?
— C'était avant que vous n'exposiez vos... vos
conditions.
— Dans quelle mesure mes conditions modifient-elles
les chances ?
Le père resta un moment silencieux. « Je suppose que,
quelle que soit la façon dont on considère les choses, les chances demeurent les
mêmes. Mais, si vous voulez bien me pardonner, monsieur, il me faut davantage
de preuves de votre sincérité. N'y voyez pas d'offense mais, en présence d'un
homme pratique, il est sage de se montrer également pratique, non ?» Il sourit.
« Quelles preuves exigez-vous ? » demanda Phaulkon.
Ce fut au tour de Vachet de se lever et de marcher
jusqu'à la fenêtre. Il contempla quelques instants le jardin sans rien dire,
puis il régla les volets. Le soleil, qui avait commencé à filtrer dans le coin
où se trouvait le fauteuil du prêtre, se déversait maintenant largement au
centre de la pièce.
Phaulkon attendait en silence, ses doigts pianotant sur
l'accoudoir de son fauteuil.
Vachet vint se rasseoir. « Je prendrais bien un peu de thé,
monsieur Constant, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. »
Dominant soigneusement son impatience, Phaulkon se leva
pour frapper le gong. Il n'avait pas même eu le temps de soulever le maillet
que Sunida apparut sur le seuil. Elle ne pouvait guère l'espionner, se dit-il.
Elle ne comprenait pas un mot de la langue, elle pouvait juste peut-être
reconnaître, au ton de leurs voix, s'ils se disputaient ou non. Il était plus
probable qu'elle était là, comme d'habitude, prête à rendre service. Il fut
confirmé dans cette idée en la voyant entrer tenant à la main la théière de
porcelaine bleue et blanche. Elle attendait derrière la porte avec du thé
frais.
Elle remplit la tasse du prêtre en lui adressant un
charmant sourire. Puis elle en proposa à Phaulkon qui refusa.
« Magnifique jeune personne, déclara Vachet d'un ton
approbateur. Venant d'un prêtre, vous pouvez prendre cela pour un véritable
compliment. Nous ne sommes pas censés remarquer ce genre de choses.
— Ah, mon Père, cela montre que vous êtes humain. »
Le prêtre attendit que la porte fût refermée derrière
Sunida, puis il se pencha lentement dans son fauteuil.
« Voici la preuve que je demande. » D'un grand geste du
bras, il balaya toute la pièce. « Tout ceci doit disparaître. » Puis il désigna
la direction où Sunida avait disparu.
« Tout quoi ? interrogea Phaulkon, sentant monter en lui
un vilain soupçon.
— Tout ce mode de vie. Vous ne pouvez être
catholique et vivre ainsi, dans le péché, avec des esclaves et des concubines
comme un païen. Un mandarin catholique doit donner l'exemple. » Il marqua un
temps. « Si j'obtiens pour vous ce traité et si vous ne parvenez pas à obtenir
la conversion du roi, du moins mes frères jésuites et moi-même ne ferons-nous
pas figure de parfaits idiots pour avoir cru qu'un homme menant une vie de
pécheur, sans espoir de rédemption, aurait sincèrement adopté notre cause pour
s'efforcer d'obtenir la conversion du roi. Voyons, mon ordre deviendrait la
risée de la chrétienté. Sans parler de la colère du supérieur général et, soit
dit en passant, le risque que je courrais quant à mon propre avenir. Non,
monsieur, je tiens à être parfaitement clair. Pour que je puisse envisager
d'accepter vos conditions, il faut que vous me démontriez que j'ai affaire à un
catholique à la piété reconnue, heureux et marié à une catholique...
— Marié ? » fit Phaulkon en l'interrompant. Durant
tout le discours du prêtre il n'avait cessé de pâlir. Il était maintenant blanc
comme de la craie. « Je suppose que vous allez me dire maintenant que vous avez
quelqu'un en vue?
— À vrai dire, oui. Mais comme je sais que vous
n'avez d'yeux que pour la beauté, je suis convaincu que vous ne serez pas déçu.
» Il sourit. « C'est nous, les Jésuites, qui l'avons élevée : nous savons donc
qu'elle est
Weitere Kostenlose Bücher