Le Gerfaut
débattant comme un beau diable. Tim haussa les épaules.
— J’aurais juré qu’il en serait ainsi. On ne discute pas avec les Iroquois : ce sont des bêtes sauvages.
— Je croyais que Sagoyewatha était un homme jeune ? remarqua Gilles en désignant du menton l’homme à la couronne.
— C’est un homme jeune ; et un homme à la fois sage et prudent. Celui-là c’est son oncle, Hiakin, autrement dit Face d’Ours, le Grand Sorcier des Sénécas. Il remplace le chef quand celui-ci est en expédition… et cela veut dire que Sagoyewatha est absent et que nous sommes perdus : il était notre seule chance.
Bousculés, malmenés par des hommes qui semblaient éprouver pour eux une haine furieuse, les deux garçons franchirent l’enceinte du village indien où avaient déjà disparu Igrak et la victime du gerfaut. Celle-ci, d’ailleurs, y avait été chassée à coups de pied sans la moindre cérémonie et avec un mépris bien révélateur de son importance dans la tribu.
— Une esclave ! grogna Tim. Une malheureuse créature enlevée au cours d’un raid sans doute et, par malheur, une des nôtres ! Tu as vu ses cheveux clairs ? C’est une blanche…
Quant à l’oiseau, on l’avait arraché des mains de Gilles et c’était Hiakin, maintenant, qui le portait lui-même, couché sur ses deux mains élevées jusqu’à la hauteur de son visage en direction du soleil couchant.
Quelques instants plus tard, Gilles et Tim, propulsés par leurs gardiens, prenaient contact sans douceur avec le sol d’une hutte étroite et noire où stagnait une insupportable odeur de poisson pourri. Malgré tout, ils en éprouvèrent une sorte de soulagement car la traversée du village entre deux rangs de femmes changées en autant de furies et qui leur jetaient tout ce qui leur tombait sous la main, n’avait rien eu d’agréable.
Gilles, qui avait atterri à plat ventre, réussit sans trop de peine à se redresser malgré ses mains liées au dos et à s’asseoir contre un piquet. Ses yeux vite habitués à l’obscurité cherchèrent son ami qui rampait sur la terre comme un gros escargot en essayant de se redresser.
— Que vont-ils faire de nous à ton avis ?
— Rien d’agréable ! Pour nous tout au moins car nous aurons toujours la consolation de nous dire qu’ils vont passer, grâce à nous, un excellent moment. Il n’y a rien que les Iroquois préfèrent, en guise de distraction, à la mort bien conditionnée d’un prisonnier. Alors, deux !…
Gilles examina la question sous tous ses angles, en conclut que leur situation n’avait rien d’enviable mais put constater avec satisfaction qu’elle ne l’émouvait pas autrement.
— Je comprends ! fit-il tranquillement. Et… ce sera long ?
Tim, qui avait réussi à se hisser au côté de son ami, émit un petit rire sans gaieté.
— Probablement ! Nous sommes des guerriers blancs et, à ce titre, nous avons droit à leur considération.
— Ce qui veut dire ?
— Qu’ils se feront un plaisir de nous honorer de leurs tortures les plus raffinées. Et tu n’as pas idée de l’ampleur de leur imagination sur ce chapitre.
Malgré son courage, Gilles ne put se défendre d’un désagréable frisson qui lui courut le long de l’échine. Regarder la mort au fond des yeux est une chose mais la voir s’avancer à tout petits pas au milieu d’une éternité de souffrance en est une autre.
— Eh bien… autant être renseigné ! soupira-t-il. En attendant, tourne-toi de façon que tes mains touchent les miennes. Je vais essayer de te détacher. Je déteste l’idée de rester là, ficelé comme un poulet qu’on va mettre à la broche.
Les liens étaient serrés mais les doigts du jeune homme réussirent à trouver le nœud et commencèrent à s’activer.
— Crois-tu que ce sera pour ce soir ? demanda-t-il au bout d’un moment. Car, en ce cas, je perds mon temps.
— Non. Ce sera sans doute pour demain, au lever du soleil. Continue. Si tu n’y parviens pas, j’essayerai d’ôter les tiens.
C’était un travail long et difficile qu’il n’eut d’ailleurs pas le temps de mener à bien car au moment même où le premier nœud cédait, on vint les tirer de leur prison.
La nuit était venue mais tout le village était dehors et un grand feu, allumé en plein milieu près de deux poteaux peints en couleurs voyantes, éclairait le paysage jusqu’aux pentes boisées de l’autre côté de l’eau. Les Sénécas
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