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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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peu d’élèves de Saint-Yves. Aussi, voyant son camarade dégringoler les marches qui menaient à la porte basse avec l’aisance d’un habitué, Gilles ne put-il s’empêcher de le retenir par le bras.
    — Tu as déjà été dans cette maison ? demanda-t-il sévèrement.
    Jean-Pierre haussa les épaules et détourna les yeux mais il y eut du défi dans sa voix quand il répondit :
    — Bien sûr ! Quand on a dans l’idée de s’embarquer clandestinement, il vaut mieux ne pas faire le difficile. Il y a là un homme qui peut nous aider…
    — Tu connais la réputation de l’ Hermine Rouge  ! Mais as-tu déjà songé à ce qui se passerait si ton père, ou le Père Principal apprenaient que l’on t’a vu ici ?
    — Rassure-toi, j’y ai pensé. Mais on ne fait pas l’omelette sans casser les œufs. Maintenant, si tu crains pour ta réputation, libre à toi de rebrousser chemin. Seulement, je commence à me demander si tu ne ferais pas mieux de te faire curé…
    — Si j’ai besoin d’un conseil au sujet de mon avenir, je te le demanderai ! riposta Gilles sèchement. Cela dit, je te suis… puisque apparemment tu sais ce que tu fais.
    Sur les talons de son camarade il pénétra dans la taverne comme on plonge en se retenant de respirer. Il pensait atteindre un univers infernal, fait de bruits et de fureur, plein de querelles, de cris et de chants d’ivrognes. Or, on y entendait moins de bruit que dans une classe de Saint-Yves.
    Du seuil, il aperçut, moutonnant dans la fumée bleue des pipes, des dos diversement coloriés, des têtes plus ou moins hirsutes penchées sur les tables où reposaient les coudes et les gobelets de rhum. Tous ces hommes parlaient entre eux à voix contenue, débattant discrètement d’affaires qui, pour être louches à la grande majorité, n’en étaient pas moins pour eux d’un intérêt puissant. Et, malgré la présence de deux servantes, décolletées aux limites de la décence, qui passaient entre les tables chargées de lourds plateaux, l’endroit n’évoquait en rien l’idée du plaisir.
    Quant à Yann Maodan lui-même, appuyé des deux poings à son comptoir de noyer crasseux, il laissait planer sur l’assemblée un regard d’empereur auquel rien n’échappait. Ce regard saisit les deux garçons, s’orna d’une grimace qui à la grande rigueur pouvait passer pour un sourire et, traversant la salle, alla achever sa trajectoire sur une table du fond à laquelle un homme seul était installé.
    — Ho ! Le Nantais ! cria-t-il. Du monde pour toi !…
    L’interpellé tressaillit, arma son visage d’un sourire qui lui allait comme une rose à un crocodile et, ôtant de sa tête en forme de pain de sucre un tricorne superbement galonné d’or qui n’avait pas dû être fait pour elle, l’agita gracieusement en direction des deux garçons qui se faufilaient entre les tables.
    — Te voilà, donc, garçon ! chuinta-t-il en découvrant trois dents, restées étonnamment blanches au milieu d’une incroyable collection de chicots brunâtres. Viens-tu me dire que tu as réfléchi ?
    — Oui, M’sieur ! Et je suis décidé !
    Le tricorne oscilla aimablement.
    — Bien ! Et celui-là ? qui c’est ?
    — Un ami ! Nous sommes dans la même classe. Lui aussi est décidé…
    — Un instant ! coupa Gilles. J’aimerais tout de même savoir à quoi je suis décidé ?
    Le Nantais ne lui plaisait pas. Brusquement rétrécies, ses prunelles glacées, d’un bleu d’acier, se mirent à fouiller le visage de cet homme comme s’il cherchait à lui arracher le secret de ses pensées. Sous le crâne pointu, il y avait une figure charnue au sourire trop large, au long nez fendu, aux petits yeux noirs brillants comme des perles de jais. Une figure propre d’ailleurs, bien rasée et qui n’eût pas été autrement désagréable sans l’incessante mobilité d’un regard impossible à saisir et sans cette façon irritante qu’avait le Nantais de passer continuellement sa langue sur ses lèvres à la manière d’un matou qui se pourlèche.
    Un éclair de colère brilla dans ces yeux instables mais ce ne fut qu’un éclair et il s’éteignit comme une chandelle soufflée par le vent. L’homme haussa les épaules en éclatant d’un rire bonasse.
    — Décidé à naviguer, pardi ! Tout comme ce bon garçon qui brûle de conquérir fortune et gloire sur les vastes mers et de contempler la splendeur de toutes les merveilles de

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