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Le Gerfaut

Le Gerfaut

Titel: Le Gerfaut Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Juliette Benzoni
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compatissant. Un paysage immense s’étalait maintenant sous ses yeux, sans plus de limites que celles de la vaste terre et des mers infinies… Et qu’importait si le vent aigre courait toujours au long des ruelles en pente, giflant les flaques d’eau et claquant les volets, qu’importait si les soldats, en quittant la ville l’avaient laissée sale et morose comme une fille de joie après une nuit d’orgies, qu’importait si le ciel nocturne charriait toujours ses tristes nuages alourdis de pluie. Dans le cœur de Gilles tout était clair, net, lumineux.
    Pour obtenir cette espèce de miracle, M. de Talhouët n’avait pas eu besoin de grandes phrases ni de longues périodes.
    — Demain, lui dit-il, tu partiras pour Brest et tu te rendras chez mon amie Mme du Couédic avec une lettre que je te donnerai. Mme du Couédic est en grand deuil puisqu’il y a tout juste deux mois que nous avons porté en terre son glorieux époux mais sa bienfaisance ne connaît ni deuils ni fêtes. En outre, il n’est pas un marin, si haut placé soit-il, qui, à cette heure, ne tienne à honneur d’aller saluer la veuve d’un héros. Le chevalier de Ternay d’Arsac, chef d’escadre chargé par le Roi de conduire, outre-Atlantique, l’armée du comte de Rochambeau, n’y fait pas exception. Mme du Couédic te recommandera à lui afin qu’il voie à t’introduire au mieux auprès du général en chef… peut-être comme secrétaire puisque, bienheureusement, tu parles anglais…
    Sous la vieille veste de chasse, le cœur de Gilles se mit à battre la charge. L’Amérique ! C’était bien cela. On allait l’envoyer en Amérique ! Bientôt, sur l’un des magnifiques vaisseaux du Roi, il s’en irait au bout du monde, porté à la fois sur les flots verts du grand océan et sur les nuages dorés de ses rêves de gloire. Et là-bas, dans ce pays fabuleux où des hommes se battaient pour un mot que l’on ne connaissait pas encore beaucoup en France… la Liberté !… là-bas, il rencontrerait sans doute cet étonnant marquis de La Fayette, il pourrait peut-être combattre à ses côtés. Mais surtout, mais avant tout, il saurait bien forcer le destin à lui donner enfin sa chance.
    — À quoi penses-tu ? demanda l’abbé Vincent qui épiait les réactions de son filleul sur son visage.
    Ramené sur terre, Gilles le considéra un instant avec des yeux scintillants de reconnaissance. Puis il lui sourit :
    — Je pense, Monsieur, que demain vous me donnerez la volée comme jadis Olivier de Tournemine lançait Taran, le gerfaut blanc. Je vais combattre, moi aussi…
    L’Abbé fronça les sourcils.
    — Un instant ! Je t’envoie combattre, oui, mais au nom du Roi et pour le Roi. Je ne t’envoie ni au meurtre ni à la rapine. Si tu veux imiter ton ancêtre, que ce soit uniquement dans ce qu’il eut de grand… et surtout dans la dernière partie de sa vie puisque au jour de sa mort il combattait pour Dieu.
    « Pour devenir un vrai gentilhomme, ton chemin sera plus long et plus difficile qu’aucun autre mais tu ne dois jamais oublier l’honneur, la courtoisie… la générosité… et la pitié qu’ignorait le Gerfaut. Ne le prends pas trop pour modèle.
    — Je n’oublierai pas, Monsieur, parce que ce serait oublier ce que je vous dois, ce serait vous décevoir… et j’aimerais mieux mourir que vous déplaire.
    La gravité du ton fit sourire l’Abbé.
    — Essaie aussi de rester vivant, fit-il en lui tapant sur l’épaule. Tu n’imagines pas à quel point je déteste chanter le Requiem.

CHAPITRE VI
    UN SUÉDOIS NOMMÉ FERSEN…
    Parti d’Hennebont le 10 mars, ce fut seulement le 5 avril que Gilles aperçut les bastions, demi-lunes, fossés, redoutes, talus et saillants pointus, chef-d’œuvre de M. de Vauban qui faisaient de Brest une forteresse quasi imprenable.
    C’était évidemment beaucoup de temps pour parcourir une trentaine de lieues, surtout à cheval mais, en fait, le jeune voyageur ne mit guère plus de trois jours à couvrir la distance. Le reste du temps, il l’employa à devenir quelqu’un d’autre. Ou tout au moins à essayer.
    En effet quand, après une nuit blanche passée tout entière à évoquer Judith et à appréhender la prochaine rencontre entre un cheval de sang et un séant douloureux, il descendit pour faire ses adieux à son parrain, il eut la surprise de trouver Mahé dans la rue, plus sale et plus hirsute que jamais, planté comme un piquet entre le beau

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