Le Gerfaut
Donnez-moi vite à manger et montrez-moi ma botte de paille…
Une heure plus tard, l’estomac bien lesté par une somptueuse cotriade parfumée à tous les poissons de l’Iroise et par un grand bol de cidre chaud, Gilles, le moral déjà bien relevé traversait la petite cour du Pilier à la suite de l’aubergiste qui portait une lanterne d’une main et une botte de paille de l’autre.
La porte de la remise ouverte découvrit une énorme machine vert pomme aux brancards relevés qui tenait à peu près tout l’espace. La figure de Gilles s’allongea.
— Je ne suis pas gros, fit-il, mais vous croyez que je pourrai entrer là-dedans ?
— Bien sûr, fit maître Briant imperturbable en jetant sa paille un peu au hasard entre les deux grandes roues, Ça n’a l’air de rien mais, de ce côté-là, vous voyez, on peut même ouvrir la portière. Ah ! pour une belle voiture c’est une belle voiture ! Et l’intérieur, donc ! Je parierais mon bonnet qu’on peut y dormir aussi bien que dans un lit.
Ce fut dit sur un tel ton que Gilles regarda fixement le bonhomme puis se mit à rire.
— Vous avez sûrement raison, maître Briant ! Cette paille va me valoir une excellente nuit jusqu’à l’aube. Je me lève toujours très tôt.
— Alors, ne faites pas de bruit et fermez bien la porte. Le cocher couche au-dessus mais il s’enivre presque chaque soir et il ne se lève pas avant le milieu de la matinée ! Drôle de cocher d’ailleurs ! Si j’étais colonel…
Quelques minutes plus tard, confortablement installé sur les coussins de la berline verte, Gilles oubliait tous ses soucis et plongeait dans un profond sommeil pour y rêver que, devenu colonel à son tour, il chargeait à la tête de ses troupes contre les portes du couvent d’Hennebont, en arrachait Judith et l’emportait, en croupe de Merlin jusqu’au fond d’une forêt aux arbres immenses peuplée d’hommes de toutes les couleurs…
Le chant du coq le tira de sa félicité pour le replonger dans une réalité aléatoire qu’il envisagea néanmoins avec plus d’optimisme que la veille. Et les premières lueurs d’une aube chassieuse le trouvèrent à moitié nu en train de se laver à grande eau à la fontaine de la cour.
Il mit à s’habiller et à se coiffer un soin tout particulier puis, après une solide soupe au lard en guise de petit déjeuner, Gilles s’installa dans la salle d’auberge pour attendre quelque chose dont il ignorait ce que cela pourrait être… qui d’ailleurs ne viendrait peut-être pas. Mais on lui avait fixé midi comme terme à cette attente. Ensuite, il verrait à prendre le coche de Landerneau d’où il lui serait possible de gagner Châteaulin et, de là, Douarnenez et le château de Kerguelénen en Pouldergat où résidait son dernier espoir. En courant beaucoup, il pourrait peut-être revenir à temps pour le départ et, de toute façon, Mme du Couédic trouverait bien quelque capitaine de frégate ou de vaisseau à qui l’expédier.
L’œil sur la grosse horloge de châtaignier dont le battement lourd rythmait la vie de l’auberge, Gilles attendit longtemps. Neuf heures sonnèrent, puis dix, puis onze, grignotant l’espoir mis dans les paroles assez vagues, il est vrai, du jeune Vicomte.
De l’espoir, il ne lui en restait plus du tout et l’aiguille de l’horloge approchait de midi quand un soldat du régiment des vaisseaux encadra dans la porte de l’auberge une large silhouette blanc et bleu.
— Le sieur Goëlo, Gilles, c’est bien ici ? clama-t-il du seuil sans daigner entrer.
Il n’eut pas à se répéter. Gilles était déjà debout.
— C’est moi.
— Veuillez me suivre.
— Où cela, je vous prie ?
— À l’hôtel de Monsieur l’Intendant Général où vous êtes attendu d’extrême urgence. Il faut vous hâter !
— Dans ce cas, je vous suis.
Confiant son mince bagage à Corentin Briant, Gilles, le cœur battant nettement plus vite que d’habitude, suivit le soldat. Sans échanger un seul mot, l’un derrière l’autre, ils traversèrent ainsi la majeure partie de la ville jusqu’au grand Arsenal et jusqu’au majestueux hôtel, gardé militairement qui servait à la fois de logis et de quartier général à celui que l’on appelait l’Amiral Blanc, l’Intendant Général, représentant tout-puissant du ministre de la Marine et maître absolu des chantiers, des entrepôts et du Grand Arsenal ; pour lors M. le comte d’Hector, un
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