Le Gerfaut
peu de chose : une couverture habilement ornée de dessins aux couleurs violentes, un sac contenant une grossière farine brune à l’odeur forte qu’il devina être le fameux pemmican dont lui avait parlé Tim, cette nourriture habituelle des Indiens dont le coureur des bois semblait d’ailleurs faire quelque cas, un arc à la taille d’un enfant, des flèches neuves et enfin une corde de fibres tressées dont il se servit pour ligoter son prisonnier avant qu’il ne reprît ses esprits et sa défense.
Ceci fait, il amarra solidement la petite embarcation en prenant bien soin de la dissimuler dans un creux de rocher, puis chargeant le jeune garçon sur son épaule, il remonta en direction du camp. Mais, au lieu de piquer droit sur les quartiers il emprunta un sentier qui gagnait directement New-Port.
Enfant ou pas, son captif était un Indien dont la seule présence ne pouvait qu’indiquer la proximité d’une tribu ou d’un campement. Il fallait en avertir immédiatement le général en chef car la nouvelle pouvait être d’importance. Or le quartier général, tant terrestre que maritime, était installé dans l’une des principales maisons de la ville et Gilles, malgré le poids de l’enfant, se mit à courir dès qu’il aperçut le clocher de Trinity Church tant il avait hâte de rencontrer son chef.
La maison de John Wanton, fils du gouverneur de Rhode Island, se situait dans Point Street, la plus importante des quelques rues composant New-Port. Comme la plupart de ses voisines, c’était une maison de bois peinte en blanc avec un grand toit à pans coupés et des fenêtres à l’anglaise garnies de petits carreaux. Le tout était posé sur la verdure d’un grand verger plein de pommiers noueux et de fragiles cerisiers qui lui donnaient un air champêtre bien qu’elle fût la demeure de l’un des principaux magistrats de la ville.
Telle qu’elle était, cette maison avait été mise à la disposition du chevalier de Ternay pour y établir le bureau de la Marine et le trésor de l’expédition. L’État-Major s’y réunissait également car la situation du domaine Wanton équilibrait à peu près les distances entre les vaisseaux en rade et le camp de l’armée.
Lorsque Gilles y parvint avec son fardeau qui avait depuis longtemps retrouvé ses esprits et qui gigotait autant qu’il le pouvait, il était pourvu d’une escorte de cinq ou six gamins attachés à ses pas, mi-admiratifs, mi-inquiets et qui lui faisaient part de leurs commentaires. Mais, au moment où il allait pousser la barrière, il fut rejoint par deux cavaliers. Couverts de poussière, ils arrivaient par le chemin du nord et s’arrêtèrent près de lui. L’un d’eux l’apostropha brutalement.
— Hé là ! l’homme ! Êtes-vous fou d’avoir capturé un enfant indien ? Ne savez-vous pas que vous risquez de jeter sur cette ville toute une tribu ? Lâchez-le immédiatement ! Et d’abord qui êtes-vous ?
Sans obéir, Gilles fronça les sourcils et le regarda. Il avait parlé français, sans le moindre accent mais l’uniforme qu’il portait était totalement inconnu du jeune homme. C’était une sévère tenue noire, égayée cependant par une culotte, un gilet et des revers blancs. Le tricorne gris de poussière, posé sur les rouleaux blancs de la perruque portait une cocarde également noire.
— Qui êtes-vous vous-même ? riposta-il, désagréablement prévenu par la voix haut perchée du personnage, un long jeune homme dégingandé aux traits fins, à la peau blanche enjolivée de nombreuses taches de rousseur mais à qui un grand front fuyant et des sourcils trop arqués donnaient une physionomie perpétuellement étonnée et vaguement offensée. Vous parlez français mais vous n’appartenez pas à l’armée de M. de Rochambeau, car je ne vous connais pas.
— En effet ! J’appartiens à l’armée des États-Unis ! Je suis…
Il n’eut pas le temps de décliner son identité. Un nouveau personnage accourait et se jetait à son cou.
— Gilbert ! Mon bon ! Enfin vous voilà ! s’écria joyeusement le vicomte de Noailles. Par la mordieu nous en étions à nous demander si vous ne nous aviez pas complètement oubliés. D’où sortez-vous ?
— Du camp du général Washington, bien sûr. Et c’est à moi, bien plutôt, de vous demander d’où vous sortez. Savez-vous que vous avez un mois de retard ? Qu’avez-vous donc fait en mer, durant tout ce temps ?
— Ce qu’on y
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