Le glaive de l'archange
madame. Attendez-moi ici. J’ai des choses à faire. Si je ne suis pas revenu aux premières lueurs, venez nous retrouver devant la porte est. J’ai apporté vos habits. Changez-vous avant mon retour.
— Quelle cause pouvez-vous donner à la maladie de ma nièce ? demanda simplement l’évêque Berenguer alors qu’ils marchaient lentement dans la nuit.
Derrière eux, les torches vacillantes projetaient assez de lumière pour que Berenguer trouve son chemin. Et la rue était trop familière à Isaac pour qu’il ait besoin d’un guide.
— Il y a bien des causes possibles, Votre Excellence, répondit Isaac avec beaucoup de circonspection. Ce pourrait être la morsure d’un insecte dont le venin a ranci. Si dame Isabel avait été un soldat ou un bagarreur, j’aurais parlé d’une petite blessure infectée par négligence.
— Ne peut-on y voir l’œuvre d’une main criminelle ?
Isaac s’arrêta de marcher.
— Je ne le pense pas. Il serait assez difficile…
Il réfléchit tout de même à cette possibilité.
— Raquel découvrira les circonstances quand dame Isabel s’éveillera. Avez-vous quelque raison de craindre la malveillance ?
— Non…, et oui. Elle est la fille unique de ma sœur – de ma demi-sœur, pour être précis. Doña Constancia d’Empuries. Mais, Isaac, mon ami, si vous pouviez voir, vous sauriez que quiconque la contemple la reconnaît. Sa paternité est inscrite sur son visage.
L’évêque s’arrêta pour regarder alentour. Un vent glacé s’éleva soudainement et il s’enroula dans sa cape.
— Son père est donc bien connu ?
— Si vous admettez que Pedro d’Aragon est bien connu, dit-il sur un ton quelque peu ironique. Elle a dans les yeux une nuance qui rappelle ma défunte sœur, mais tous ses autres traits sont ceux de son père. Si les enfants de sa femme lui ressemblent ne serait-ce que dix fois moins qu’Isabel, la dame sera satisfaite.
Il s’arrêta et posa la main sur la manche d’Isaac pour qu’il fît de même.
— Entendez-vous quelque chose, mon ami ?
— Du tapage, dit Isaac. Ici ou là en ville.
— Des ivrognes, qui fêtent la Sant Johan avec une outre de vin chacun. Dans le temps, ils se seraient écroulés avec une femme dans le coin d’un champ, mais ils préfèrent aujourd’hui troubler le repos des honnêtes gens.
Berenguer rit et revint à ce qui le préoccupait.
— En vérité, je soupçonne Isabel d’être une épine dans la chair de notre jeune reine. Elle a déjà assez d’ennuis. Le premier d’entre eux étant sa crainte de voir mourir l’infant Johan, notre nouveau duc de Gérone.
— Elle aura certainement d’autres fils.
— On dit qu’elle redoute de devenir stérile ou, comme son prédécesseur, de ne plus porter que des filles. Un riche mariage pour la fille de Doña Constancia pourrait lui rappeler à quel point Dame Fortune sait être volage.
— Cela se pourrait donc, Votre Excellence ? dit Isaac. Ce mariage ?
— Oui. Don Pedro est enchanté par sa beauté et son savoir. Il a pour elle un important mariage en tête.
Il fit halte et rit.
— Ainsi exposées, mes craintes semblent bien ridicules. Et Sa Majesté la reine est la moins assoiffée de sang parmi nos dames, ajouta-t-il. Mais certaines de ses suivantes feraient n’importe quoi pour lui procurer un peu de répit.
— Lui apprendre que dame Isabel vient de périr… d’une piqûre d’insecte ? demanda Isaac.
— Les sœurs sont loyales et attentionnées. Et je sais que vous veillerez sur ma nièce comme sur votre propre enfant. Si Isabel survit à ceci, je vous en serai très reconnaissant.
L’évêque fit une pause.
— Bien, maintenant que nous sommes loin des oreilles indiscrètes, comment va Johan, notre jeune prince ? Est-il du genre à confirmer les craintes de sa mère ?
— Pas ce soir, ni dans l’immédiat. Il n’a pas sur lui l’odeur de la mort. Quand je l’ai quitté, sa fièvre bénigne était partie, il avait bien mangé et dormait paisiblement comme tout autre enfant de trois ans. Bien sûr, ajouta Isaac, la mort vient tous nous prendre, un jour ou l’autre.
Le vent forcit et s’engouffra dans les plis de leurs robes. L’évêque serra davantage sa cape.
— Le Seigneur soit loué pour ce vent ! Nous en aurons besoin cet été pour écarter la peste. Mais revenons à notre jeune prince, c’en sera déjà assez pour Sa Majesté et Doña Eleanor si la mort peut attendre
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