Le glaive de l'archange
vos efforts, quelle que soit l’issue. Il vous sera peut-être utile de savoir que dame Isabel a dix-sept ans et que, depuis cinq ans qu’elle vit au couvent, le ciel l’a gratifiée d’une excellente santé – jusqu’à cette maladie. Si quelque chose vous manque, demandez-le-moi. Sor Agnete restera auprès de vous pour s’assurer que je reçois promptement vos messages.
Raquel pénétra dans l’infirmerie avec son père et le conduisit vers le lit étroit, au milieu de la pièce, où gisait la malade. Sur le mur de droite, une grande cheminée s’ornait de crochets et de plaques. En dépit de la chaleur de la nuit, un feu brûlait dans l’âtre ; dans un brasero, des braises luisaient non loin de là. Une très vieille religieuse était assise sur un tabouret, entre le feu et le brasero, et tournait dans un pot de cuivre une substance rappelant la bouillie. De temps à autre, elle plongeait la main dans un panier posé à terre à côté d’elle, arrachait une poignée d’herbes et les jetait dans le brasero. Leur douceur cherchait à masquer l’odeur d’infection qui régnait dans la pièce. Une sœur converse aux bras forts et à l’expression pugnace attendait entre les deux fenêtres étroites de cette pièce : elle semblait un peu déplacée, comme si on lui avait demandé de venir laver le corps et qu’elle fût arrivée bien trop tôt. La large pièce était chichement éclairée par une bougie et par le feu dansant dans la cheminée. Deux jeunes religieuses, pâles de fatigue et trempées de sueur, se tenaient près de la lumière en compagnie de la sœur infirmière tandis que Sor Agnete, avec son air redoutable, les observait depuis la porte.
— Voici le lit, papa, dit Raquel, et la table se trouve à votre gauche. Il y a une autre table au pied du lit, assez grande pour notre panier. L’y déposerai-je ?
Sans attendre sa réponse, elle posa le panier au pied du lit.
— Dis-moi quelque chose de ma patiente, mon enfant.
Isaac s’était adressé si doucement à elle que les sœurs se rendirent à peine compte qu’il parlait.
Raquel prit la bougie et l’approcha de la jeune fille. Elle retint son souffle de surprise quand la lueur tomba sur ses traits délicats.
— Elle a l’air… commença Raquel avant de remarquer que les religieuses l’observaient. Elle a l’air malade, papa. Ses yeux sont enfoncés, ses lèvres sèches et craquelées, sa peau pâle… et…
La porte s’ouvrit, un air plus frais s’engouffra et avec lui deux sœurs portant d’autres bougies. Elles les disposèrent sur des tables près du lit et les allumèrent.
— Elles ont apporté d’autres bougies. À la lumière, je vois que sa peau est grise, sans aucune trace de jaune. Elle a des taches de fièvre sur les joues. Elle secoue la tête, papa, comme si elle souffrait beaucoup, mais elle repose sur le dos, toute raide dans son lit.
— Demande-lui, doucement et calmement, où réside la douleur.
Raquel s’agenouilla auprès du lit afin d’approcher son visage de celui de la patiente.
— Madame, murmura-t-elle, est-ce que vous m’entendez ?
La tête remua, pareille à un crâne de mort.
— Dites-moi… où vous avez mal.
— Demande-lui de montrer où cela se trouve, si elle le peut. Et place-toi entre elle et les sœurs.
Dame Isabel entendit et tendit la main. Elle fit signe à Raquel de s’approcher et, d’une voix rauque, lui murmura à l’oreille.
Raquel se mit sur la pointe des pieds et chuchota à l’oreille de son père :
— Elle dit que la grosseur se trouve sur sa cuisse, papa.
Isaac se tourna, hochant plusieurs fois la tête jusqu’à ce qu’il crût avoir localisé la sœur infirmière.
— Il y a trop de monde dans cette pièce, ma sœur, dit-il avec autorité. Elles souillent l’air et perturbent la sérénité. Renvoyez-les.
Sor Benvenguda interrogea du regard Sor Agnete, laquelle hocha la tête d’un air sombre.
— Comme vous le voudrez, maître, dit la sœur infirmière. Mais certainement pas Sor Tecla ? Elle a longtemps été notre sœur infirmière et pourra nous être d’un grand secours.
Sa voix se changea en murmure.
— Elle a travaillé seule ici après que toutes ses assistantes furent prises par la Mort. Elle sera au désespoir d’être renvoyée.
À nouveau, elle éleva la voix.
— Sor Tecla prépare un emplâtre d’avoine et de son au cas où cela serait nécessaire.
— J’ai, moi aussi, perdu un assistant de
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