Le glaive de l'archange
rendues incohérentes par la peur panique. Elles se pressaient, et avec elles surgissait une voix, étrange, pareille à l’écho, qui murmurait à l’intérieur de son crâne… une voix démoniaque qui se moquait de lui. « J’ai détruit Raquel », pensait-il, et la voix exultait en répétant Détruit Raquel, Raquel, Raquel…
« Je dois mettre un terme à ceci », pensa-t-il, désespéré.
Ceci, ceci, ceci… répétait la voix.
— Ô Seigneur, dit-il tout haut, sauve-moi de la folie et apprends-moi à trouver la vérité.
Dans sa tête, la voix murmura Vérité, puis se tut. C’est alors qu’une autre voix jaillit de son cerveau, sèche et faible. N’oublie pas que la vérité surgit de la terre, mon enfant. C’était la voix de son maître, mort de longue date, qui lui revenait comme un souvenir ou que le Seigneur lui adressait peut-être pour le réconforter.
— Je ne l’oublierai plus, maître, dit-il. Je n’oublierai pas non plus d’où vient la justice.
Son âme recouvra la paix, et avec elle la conviction profonde et irrationnelle que Raquel était encore en vie.
Pour la première fois depuis des heures, Isaac remua sur sa chaise. Il se sentit brusquement prisonnier de cette pièce close et étouffante. Il tenta de lever la main. Elle lui répondit, et il voulut agiter les doigts. Ils bougèrent. Rassuré, il se leva. La tête lui tournait un peu, et il alla maladroitement jusqu’à la porte. Il l’ouvrit en grand et laissa entrer une bouffée d’air frais et humide. Le temps avait changé. Puis Feliz marcha joyeusement sur son pied et se frotta à sa cheville. Il se baissa pour gratter le chat derrière les oreilles, mais sa main rencontra un corps doux et chaud.
— Yusuf ? demanda-t-il, surpris.
— Mmm, fit une voix endormie. Seigneur ? C’est vous ? Vous allez bien ?
— Oui, mais que fais-tu à dormir sur le pas de la porte ? Tu devrais être au lit.
Mais Yusuf refusait de quitter la cour.
— J’apprécie ta compagnie, mon petit ami, dit Isaac. J’oublie que tu es devenu une chouette dans tes voyages. Comment est la nuit ?
— Encore noire, seigneur. Le ciel est empli de nuages, mais l’aube éclaire déjà les toits à l’orient. Comme le jour où nous nous sommes rencontrés.
— Il n’y a pas si longtemps. Tu m’es devenu indispensable en très peu de temps.
— Je ne mérite pas de tels éloges, seigneur, dit Yusuf avec la modestie de quelqu’un qui pensait exactement le contraire.
— C’est possible. Mais aussi utile sois-tu, je ne puis rien faire sans Raquel, mon garçon.
La douleur faisait trembler sa voix.
— Qui me fera la lecture ? Ta maîtresse n’a jamais appris ses lettres, et les jumeaux sont encore bien trop jeunes.
— Nous retrouverons Raquel, seigneur, affirma Yusuf d’un ton confiant. En attendant, c’est moi qui vous ferai la lecture.
— Tu sais lire ? fit Isaac, étonné. Comment as-tu appris ?
— Mon père m’a enseigné à lire ma propre langue, et les lettres de l’alphabet latin m’ont été apprises par un vieux jongleur un peu voleur qui allait de ville en ville, chantant, racontant des histoires et tirant des bourses. J’ai voyagé avec lui jusqu’à son arrestation par les officiers. J’apprendrai bientôt à reconnaître les mots, ajouta-t-il avec une arrogance tout enfantine.
— Bientôt, répéta Isaac, désespéré. Je ne puis attendre ce « bientôt », mon garçon. Je perds le pouvoir d’ordonner mes propres pensées. Je dois revenir aux mots des maîtres, ou je deviendrai fou.
Isaac leva son visage vers le ciel, comme si quelque miracle allait s’abattre sur lui pour lui permettre de lire dans son esprit troublé et de le comprendre. Un grondement semblable à la voix du Seigneur se fit entendre à l’est, et les premières gouttes de pluie tombèrent sur ses lèvres et sur ses yeux.
— Viens, Yusuf. Ne nous faisons pas mouiller, dit Isaac avec une courtoisie un peu lasse. Allons dormir. Tu m’éveilleras avant que le soleil ne soit trop haut.
Raquel s’ébroua pour s’arracher à un rêve où elle plongeait dans un puits profond aux couleurs chatoyantes. Son cœur battait d’effroi. Sa tête la faisait désagréablement souffrir, et sa bouche était sèche et fétide. Un instant, elle se crut chez elle, dans son lit, puis elle se rappela qu’elle se trouvait au couvent. Elle ouvrit les yeux. Il faisait très sombre et elle gisait sur une chose peu
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