Le glaive de l'archange
confortable qui lui meurtrissait le dos. Elle s’assit, et son estomac se tordit. Il y avait là quelque chose d’anormal.
Elle toucha la surface sur laquelle elle reposait. Cela ressemblait à un grabat grossier empli de paille. Ses mains avancèrent jusqu’à toucher des planches rudes. Le sol. Dessous, elle entendit le claquement d’un sabot et le doux hennissement d’un cheval. Soit elle était devenue folle, soit elle était couchée à même le sol au-dessus d’une écurie.
Puis elle se rendit compte que l’obscurité n’était pas uniforme. Ce carré de noir moins intense devait correspondre à l’ouverture d’une fenêtre, et cette forme encore plus sombre, là, à portée de la main, à une autre paillasse ou à un meuble quelconque. Elle tendit l’oreille. En plus des bruits de l’écurie, elle perçut une respiration peu profonde. Mon Dieu, se dit-elle, dame Isabel ! D’une façon qu’elle ne pouvait imaginer, dame Isabel et elle-même avaient été transférées pendant leur sommeil dans cette chambre de fortune.
Avec précaution, elle se leva. Ses cheveux se frottèrent aux poutres et des toiles d’araignée se collèrent à son visage. Elle les chassa d’un geste impatient et se dirigea vers le carré de gris, silencieuse dans ses bottes de cuir souple. Elle atteignit l’ouverture grossière pratiquée dans le mur et passa la tête à l’extérieur. L’air était frais et humide ; à l’est, l’aube éclairait déjà le ciel. Des formes, collines ou nuages, se profilaient à l’horizon. Elle huma, étonnée, les odeurs inhabituelles. Elles se trouvaient quelque part à la campagne.
Elle revint au milieu de la pièce, la main tendue pour percevoir les limites de ce nouvel espace. À mi-chemin, son pied toucha une irrégularité du sol, et elle se pencha. Ses doigts reconnurent le contour d’une trappe ; elle trouva un anneau et le tira doucement. La trappe se souleva à peine. Elle était barrée ou fermée à clef. Elle poursuivit sa progression silencieuse. Une planche craqua et elle s’immobilisa. Sous elle, seuls les bruits rassurants des animaux lui parvenaient, et elle continua jusqu’aux planches grossières du mur du fond. Elle n’y trouva pas la moindre porte. Il n’y avait qu’une issue, et elle était barrée.
Elle s’avança vers l’autre couche et prit la main molle de dame Isabel. Elle était chaude, son pouls était faible et sa respiration rapide. Elle était vêtue d’une lourde robe de soie et enveloppée d’une chaude cape ; Raquel desserra sa propre robe et s’allongea près d’elle pour attendre le lever du jour.
CHAPITRE IX
Raquel et Isabel ne furent pas les seuls voyageurs à s’éveiller dans une écurie en ce jeudi matin nuageux et humide. La veille, bien avant que le soleil eût atteint midi, Tomas de Bellmunt avait compris que ce serait un vrai miracle si sa jument épuisée atteignait Gérone d’ici le crépuscule. Monture la moins prometteuse de la modeste écurie de son père, elle n’avait jamais montré la moindre aptitude à la vitesse, ni à quoi que ce soit d’ailleurs, et depuis un an elle vivait dans une relative oisiveté. La pauvre Blaveta était en fort mauvais état.
Elle ralentit alors que des cloches sonnaient tierce dans le lointain ; bien plus tôt que midi, elle se mit à traîner la jambe. Enfin, sous le soleil brûlant du milieu de journée, elle s’arrêta, tête baissée, image même de l’abattement. Après plusieurs tentatives infructueuses destinées à lui redonner courage, Tomas abandonna. Lui-même ne mettait aucun cœur dans cette mission et, un tantinet coupable, il se demandait si sa mauvaise volonté ne s’était pas transmise à la jument. Il l’emmena à l’ombre, près d’un ruisseau, et tous deux se reposèrent sous un arbre, somnolant jusqu’à ce que le soleil fût passé à l’ouest.
Un peu reposée, elle parvint à trotter. Puis la route prit la direction du couchant, et Blaveta décida qu’elle en avait assez. La rivière proche paraissait plus attirante ; elle ralentit et tourna brusquement à gauche. Tomas tira sur les rênes et donna de l’éperon. Elle se mit à boiter. À nouveau, il enfonça les éperons dans ses flancs. Mais elle coucha les oreilles, planta ses antérieurs dans la poussière et les cailloux et refusa tout bonnement d’avancer. Tomas mit pied à terre et reconnut sa défaite. L’auberge où il avait couché le lundi soir devait se trouver non
Weitere Kostenlose Bücher