Le glaive de l'archange
ou la mort de Romeu. Il voulut se lever pour protester, mais on le força à reprendre sa place.
— Le prisonnier doit garder le silence, dit le greffier de sa petite voix sèche.
Le deuxième avocat se leva, plein de suffisance, et s’inclina. Il entreprit d’exposer l’affaire aux juges. Cela ne lui prit que très peu de temps : il commença par un bref préambule et termina par la lettre que Tomas avait envoyée à son oncle, celle qui contenait les mots terribles : Je crains d’avoir fait acte de traîtrise à mon insu.
C’était si simple, pensa Tomas. Tout le reste n’était qu’élaboration. Cette nuit-là, à Barcelone, il avait signé son arrêt de mort.
Le secrétaire particulier de son oncle fut appelé. L’allure plus sèche et plus poussiéreuse que jamais, il expliqua de manière aussi précise que monotone comment il avait eu cette lettre.
— Et comment se fait-il que vous ayez reçu et ouvert une lettre adressée au comte ? demanda l’avocat qui semblait, d’une certaine façon, représenter Tomas.
— Le comte se trouvait loin de là, chargé par Sa Majesté d’une mission des plus secrètes. J’avais pour instruction de ne laisser personne – pas même un parent ou un ami intime – savoir qu’il se trouvait loin de la cour. J’avais fait courir le bruit qu’il était en proie à la maladie. Sinon, je n’aurais jamais ouvert une lettre de son neveu.
— Qu’avez-vous fait alors ? demanda le jeune juge.
— J’ai ouvert la lettre le lendemain matin, Votre Seigneurie. Don Tomas avait déjà quitté Barcelone. Il était parti pour Gérone, je le sais maintenant.
— Sur instruction du comte ? demanda brusquement Don Pedro.
— Non, Votre Majesté. Pas que je sache. Je croyais à ce moment qu’il voyageait avec la suite de Sa Majesté la reine.
Tomas leva la tête d’un air indigné, prêt à réfuter un tel mensonge. Mais c’était un petit mensonge, destiné à préserver la réputation de son oncle, et il retomba dans l’apathie.
Un petit groupe de témoins vinrent placer Tomas sur la route de Gérone plutôt que dans la suite de la reine. L’affaire était close.
Les seuls qui auraient pu jurer – s’ils en avaient eu le désir – que Tomas était impliqué malgré lui dans un complot pour capturer l’infant Johan, ces témoins-là étaient morts. Et les procureurs, hommes habiles, ne l’accusaient de rien d’autre. Pourquoi l’auraient-ils fait, d’ailleurs ? Un homme n’a qu’une seule tête à perdre.
Sa Majesté se leva. Le reste de la cour imita le roi et se retira pour considérer les faits.
— Maman est partie se reposer dans sa chambre. Je pourrais vous faire la lecture, papa, murmura Raquel alors que l’après-midi du sabbat, chaud et ensoleillé, traînait en longueur. Yusuf pourrait aller chercher le livre si je lui disais lequel prendre.
Ils étaient assis sous la charmille. Seul le bruissement de la fontaine venait rompre le silence. Le chat dormait ; les oiseaux avaient cessé de piailler ; même le bruit des charrettes et des voix à l’extérieur du Call se fondait en une sorte de somnolence universelle.
— Tu es bien sûre ? dit Isaac en feignant la terreur. Nous pourrions peut-être prendre le risque d’une page. Quelque chose qui convienne à ce jour, évidemment.
— Évidemment. Où sont les jumeaux ?
— On m’a dit qu’ils dormaient, répondit Isaac. Si tu dois lire, que ce soit à voix basse. Il serait coupable, à un âge aussi tendre, de les exposer à la dépravation.
— Ce n’est pas que je veuille vraiment, papa, dit Raquel, hésitante. Je pensais que cela pourrait apaiser vos soucis.
Elle prenait son père très au sérieux et trouvait quelque peu dérangeante sa tendance à l’autodénigrement. Voulait-il qu’elle lui fasse la lecture le jour du sabbat ou non ? Son père était un homme très croyant ; pourtant, comme sa mère aimait à le souligner, il faisait preuve de beaucoup de liberté pour ce qui était de l’observance des rites. Cette fois-ci, elle décida de prendre les choses en main et pria Yusuf de la suivre dans le cabinet.
Isaac perçut le doux bruissement des jupes de sa fille quand elle traversa la cour, puis il l’entendit pousser la porte du cabinet d’étude. Alors que Raquel cherchait quelque chose de convenable, il s’imagina qu’à travers ses yeux il revoyait la longue rangée de livres précieux aux reliures sombres, et il se demanda lequel
Weitere Kostenlose Bücher