Le glaive de l'archange
a-t-il dit de leurs relations ?
— Il m’a paru très franc et très ouvert. Il m’a raconté qu’il était en train de faire reposer son cheval quand il a vu passer sur la route une procession constituée d’une litière fermée, d’une dame à cheval, de deux serviteurs et d’un gentilhomme. Puis il a vu que maîtresse Raquel était ligotée à sa monture et que le « gentilhomme » n’était autre que son propre serviteur, vêtu de ses habits et portant l’épée. Il l’a défié, son serviteur a tiré le fer, ils se sont battus et le renégat a été tué. Il a escorté les dames jusqu’à une auberge, veillé à ce qu’elles soient bien installées, puis est venu me trouver sur le conseil de votre fille.
— C’est aussi ce qu’elle m’a rapporté. Et il en va de même pour maîtresse Raquel, dit Don Pedro. Mais alors comment expliquez-vous ceci ?
Il fit un signe à son secrétaire, qui produisit une lettre.
— Donnez-la à l’évêque, Eleazar.
— Certainement, sire.
Berenguer lut la lettre que l’infortuné Tomas avait si douloureusement écrite à son oncle. Il la lut jusqu’à cette ultime phrase : Je crains d’avoir fait acte de traîtrise à mon insu.
— Vous voyez, Berenguer. Il avoue de lui-même.
— Oui… en quelque sorte. Il confesse ignorer ce qui se passe. Et quand je considère tout ceci, j’admets que je partage son sentiment. Tout cela est très étrange, Votre Majesté. Et que dit Castellbo ? Je présume qu’il a donné la lettre à Votre Majesté.
— Vous vous trompez, Berenguer. C’est le secrétaire de Castellbo qui l’a confiée à Don Eleazar. Le comte était en mission confidentielle.
— Son neveu ne savait pas qu’il était absent ?
— Tout a été fait, expliqua Don Eleazar, pour empêcher qui que ce soit de découvrir qu’il n’était pas simplement souffrant.
— Vous avez réussi avec le neveu, dit l’évêque, mais peut-être ne fut-ce pas très difficile. Il m’a donné l’impression d’un jeune homme charmant, quoique un peu crédule. Il m’a avoué que la politique de cour le désorientait complètement.
— Vous saviez qu’il était le secrétaire de Sa Majesté la reine ? demanda Eleazar.
— Oui, fit l’évêque.
— Malheureusement, ce jeune homme semble s’être condamné lui-même avec sa propre plume, dit Don Pedro avec prudence. Mais veillez à ce qu’il soit détenu en un lieu agréable et bien traité, au cas où il y aurait quelque mérite en sa défense. Nous en déciderons demain.
CHAPITRE XIV
L’annonce de la mise en accusation pour haute trahison de Don Tomas de Bellmunt, fils de Don García de Bellmunt et de feu Doña Elvira de Castellbo, constitua un délicieux scandale susceptible de couronner une semaine déjà riche en rumeurs alarmantes. Non pas que Don Tomas fût d’un quelconque intérêt pour qui que ce soit. Le jeune secrétaire de Sa Majesté était issu d’une famille honorable, mais les vents de la fortune l’avaient dépouillée de sa puissance et de sa richesse, ne lui laissant que fort peu de chose en dehors d’un nom et d’un rang à peine capables d’éloigner les froidures de l’hiver. De plus, elle venait d’une partie du royaume lointaine et obscure.
La fascination tenait tout entière au chef d’inculpation, et les commérages prenaient de minute en minute des proportions toujours plus fantastiques. Les femmes et le petit peuple évoquaient au marché des actes innommables impliquant Sa Majesté, alors que les riches négociants réunis à la bourse aux laines parlaient avec solennité de conspirations, de complots élaborés par les Anglais pour susciter des troubles civiques et par les Français pour assassiner l’infant Johan, et ainsi, de façon assez mystérieuse, détruire la demande en laines locales. Ils secouaient la tête et geignaient sur les prix. Bien avant le début de la session, le tribunal était déjà plein.
Les bancs alloués aux spectateurs étaient tous occupés. Les cloches sonnèrent et le prisonnier fut introduit. Un murmure de surprise s’éleva dans la foule. Le désir de vengeance qui l’habitait ordinairement fut, à un certain degré, tempéré par la pitié quand elle vit à quel point ce jeune homme était beau. Toute couleur avait quitté le visage de Tomas, à l’exception de cercles sombres sous les yeux, mais c’est la tête haute qu’il marcha jusqu’à la chaise qui lui était réservée. Les faveurs qui
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