Le Glaive Et Les Amours
persuadés
qu’elle avait découvert le projet d’attentat, et qu’un jour ou l’autre le roi
les châtierait avec une extrême dureté.
En quoi ils montraient peu de jugeote. Comment le roi
aurait-il pu punir Soissons sans punir aussi Gaston, l’héritier présomptif du
trône ? L’ironie de l’Histoire veut que la panique qui les avait fait fuir
de Paris n’était en aucune manière justifiée. Ni le roi ni le cardinal ne
savaient et ne surent jamais rien de l’attentat d’Amiens.
*
* *
L’absence de Gaston mettait le roi très mal à l’aise, car il
redoutait une foucade stupide, comme l’avait été l’attaque de Castelnaudary,
laquelle avait entraîné la mort de bons soldats et l’exécution du duc de
Montmorency. Il engagea des tractations avec Gaston pour qu’il regagnât la
Cour. Mais, comme à son ordinaire, Gaston commença par demander la lune :
il voulait que le roi lui donnât en son royaume une place de sûreté,
c’est-à-dire une forteresse dans laquelle il se pourrait enfermer en cas de
conflit avec Sa Majesté. C’était demander au roi de l’armer pour lui résister
davantage. Cette puérile exigence fut répétée plusieurs fois, et autant de fois
rejetée.
C’est alors qu’on apprit que Soissons fomentait un
extraordinaire complot. Gaston devait venir le rejoindre à Sedan et, une fois
dans ses murs, on ferait venir la reine-mère, et l’on prendrait langue avec
l’infant qui commandait les Pays-Bas. À eux quatre, ils publieraient alors un
manifeste pour exiger que le roi fit la paix avec l’Espagne, le cardinal étant,
bien entendu, exclu de la négociation.
Pour ces folles cervelles, il allait sans dire que, si ce
manifeste était rejeté par le roi, le peuple français ne manquerait pas
aussitôt de se soulever.
Or, si le peuple de France, en effet, se soulevait çà et là,
c’était pour protester contre les taxes que le roi avait instituées pour
rétablir son Trésor et donner du nerf à la guerre. Ni la reine-mère, déchue du
seul fait de son exil volontaire, ni Gaston, connu pour ses perpétuelles
foucades, ni Soissons, bâtard royal, et l’infant de Bruxelles encore moins, ne
possédaient le prestige et l’autorité qu’il eût fallu pour émouvoir en quoi que
ce soit les Français. Il était donc évident que ce projet d’un enfantillage
navrant ne pouvait qu’avorter. Et Gaston, bien ococoulé dans son beau château
de Blois, où ne manquaient ni les mignotes, ni les joyeux compagnons, ni les
belles repues, n’était point fort chaud pour se lancer dans l’aventure qu’on
lui proposait.
Les tractations avec le roi et lui-même n’avaient jamais été
rompues et parurent même faire quelque progrès quand on lui envoya son propre
confesseur, le père de Condren. Mais plus on traitait avec lui, et plus il
faisait monter les enchères. Il voulait qu’on payât ses dettes, qu’on lui
rendît ses revenus. Il exigeait en outre qu’on lui promît cent mille livres
pour reconstruire le château de Blois, désirait enfin que tous les siens fussent
amnistiés et remis en liberté, et qu’enfin le roi reconnût son mariage. Cette
dernière exigence fit, me dit-on, grimacer fort le roi, car ce mariage, on s’en
souvient, s’était fait sans son autorisation, et sans même qu’il en fût averti,
avec une fille d’un ennemi du royaume, le duc de Lorraine.
Par ce matin de février, je me rendis au Louvre, non à
cheval avec Nicolas, mais dans ma carrosse, le temps étant fort froidureux et
la Seine charriant des glaçons. Je trouvai le roi maussade et marmiteux. Bouthillier
me fit signe de m’asseoir et me dit à l’oreille de me tenir coi, ce qui voulait
dire que le roi et le cardinal avaient eu maille à partir, j’entends non sur le
but, mais sur le moyen. Il s’agissait de clore les transactions infinies avec
Gaston. À cette fin, le cardinal proposait que le roi partît pour Blois avec
seize mille fantassins et quatre mille cavaliers, non, certes, pour combattre
Gaston, mais pour l’intimider, ceci en accord avec le précepte militaire :
étaler la force pour en éviter l’emploi. Le roi résista à ce projet, ne le
trouvant pas, disait-il, « opportun ». Je suppose qu’il n’était pas
chaud pour se lancer dans cette expédition dans le mois le plus froid de
l’année. Si j’ose ici avancer une autre hypothèse, avec toute la circonspection
désirable, il se peut aussi que demeurer absent trois semaines au moins,
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