Le Glaive Et Les Amours
élégante et il aimait se camper sur une jambe comme un héron, une
main sur la hanche. Quand il souriait, il développait un long et sinueux
sourire, ses sourcils remontant alors vers les tempes, ce qui lui donnait un
air passablement diabolique qui faisait douter de sa conversion. Quant au petit
clerc qui l’accompagnait partout, et qui devait avoir dans les seize ans, c’était
le plus joli béjaune de la Création, et on pouvait certes nourrir quelques
doutes sur ses relations avec Fogacer, mais rien n’étayait vraiment ces
soupçons, pas même les soins maternels que Fogacer prenait de lui, car
l’attitude de Fogacer envers le genre humain, hommes et femmes, était toujours
empreinte d’une grande douceur.
Dès que le dernier cuiller du dîner fut avalé, Catherine se
leva, nous disant qu’elle allait nous laisser à nos sérieux propos, et nous fit
un petit salut des plus gracieux, avant que de clore l’huis sur nous.
— Mon cher duc, dit Fogacer, si j’aimais les femmes,
j’enlèverais la vôtre, tant elle me paraît charmante.
— Mon cher chanoine, dis-je, j’aurais alors le très
grand regret de passer ma rapière à travers le corps d’un représentant de Dieu.
— Dieu du Ciel ! Aimez-vous les femmes à ce point
de folie !
— On ne peut aimer les femmes sans les aimer à la
folie.
— Je dirais cela de tout objet aimé.
— Alors, ne le dites pas, mon cher Fogacer. Cela
choquerait chez un chanoine. Dites-moi plutôt ce qui, à ma grande joie, vous
amène chez moi.
— La grande joie de vous voir, de toute évidence.
— Mon cher Fogacer, point n’en doute. Cependant, vous
êtes le fidèle serviteur du nonce pontifical et moi, le fidèle serviteur du
roi. Il ne se peut donc que vous n’espériez de moi des lumières pour votre
nonce, et moi des lumières pour mon roi. Permettez-moi toutefois d’ajouter
qu’il ne peut s’agir de secrets d’État, car point n’en connais.
— Et point n’en veux, dit Fogacer. Le bargoin que je
vous propose est beaucoup plus modeste. Vous me dites la raison de la grande
querelle entre le roi et le cardinal. Et moi je vous dis la raison des âpres et
répétés picotis du roi et de Cinq-Mars.
— Bargoin conclu, cher chanoine. Voici ce qu’il en fut
de Louis. Il était si encoléré que le comte de Soissons eût pris les armes
contre lui qu’après la mort tragique du comte, il voulait lui refuser la
sépulture à Gaillon, dans la nécropole de ses ancêtres.
— Dieu du Ciel ! Quelle implacabilité ! Une
punition post mortem ! Après la mort, fût-ce celle d’un traître,
Dieu est le seul juge !
— C’est bien parlé, mon cher Fogacer, et parlé en
chanoine.
— Et que dit Richelieu ?
— Que cette rigueur était inutile et déshonorante.
— La raison même ! Et le roi céda en ce prédicament ?
— Oui, mais fort malengroin, et pour montrer que le
cardinal l’avait convaincu mais non vaincu, il lui tourna la froidureuse épaule
et partit incontinent chasser dans la garenne du Peq [20] .
— Et peux-je vous demander, cher duc, si ce n’est pas
d’une très haute dame que vous tenez ce récit ?
— En effet.
— Et une haute dame dont la Cour dit que vous êtes
amoureux ?
— Je l’aime, mais platoniquement.
— Ah, Platon ! Divin Platon ! Que d’adultères
commencèrent sous ta trompeuse égide !
À cela je répondis avec quelque gaieté.
— Ah, Platon, Platon ! Divin Platon ! Que de
bougreries se cachèrent de prime derrière de belles apparences !
— Touché ! cria Fogacer en levant la main comme
l’escrimeur que le fleuret d’un partenaire vient d’atteindre. Le vaincu te
salue, César, et désire se retirer de l’arène.
— De grâce, pas avant que vous ne m’ayez dit le quid et le quod des brouilleries du roi et de son favori.
— Si l’on met à part Luynes, qui fut le seul favori à jouer
auprès du roi un rôle politique et militaire – du reste désastreux –, les
favoris qui suivirent ne furent rien que de proches amis. Dois-je vous en
ramentevoir les noms ?
— Volontiers.
— Les voici : Toiras, Barradat, Saint-Simon et
enfin Cinq-Mars qui est de tous, et qui sera de tous, le plus insufférable.
— À ce point ?
— Jugez-en. Le roi l’ayant nommé grand écuyer,
Cinq-Mars, ravi de cette promotion, voulut qu’on l’appelât Monsieur le Grand,
et se crut promis dès lors à un grand destin. Et c’est pitié que le roi lui fut
autant
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