Le Glaive Et Les Amours
que cette guerre est faite de victoires et de défaites, pouvez-vous
me donner un exemple de chacune ?
— Par où voulez-vous que je commence ? Par le
succès ou l’insuccès ?
— Commencez par l’insuccès, ainsi serai-je toute
rebiscoulée par la victoire qui suivra la défaite.
— Donc, oyez, m’amie. Oyez cette triste histoire. Le
sept décembre 1638, l’amiral de Sourdis battit sur la côte de Biscaye la flotte
espagnole et la dispersa.
— Mais c’est un succès !
— Hélas, c’est un succès qui finit mal. Monsieur de
Sourdis débarqua sur la côte des troupes qui allèrent rejoindre celles qui
assiégeaient sur la Bidassoa la ville de Fuenterrabia que les Français, avec leur
étrange manie de franciser les noms des villes étrangères, appellent
« Fontarabie ». Les troupes débarquées par Sourdis portèrent à douze
mille le nombre des assiégeants, et comme les assiégés n’étaient que sept mille
et comme nous disposions de canons, l’affaire paraissait faite. Or, il n’en fut
rien. Les choses tournèrent mal. Les canons français pratiquèrent une large
brèche dans les fortifications de Fontarabie, mais au moment d’y pénétrer, Dieu
sait pourquoi, nos soldats furent pris de panique et se débandèrent. Ni Condé
ni le duc de La Valette qui les commandaient ne réussirent à les ramener.
Condé, assez vilainement, fit porter tout le blâme sur La Valette, lequel dut
se mettre à la fuite pour échapper au sort que Louis réservait aux généraux vaincus.
Il n’en fut pas moins condamné à mort par contumace, et brûlé en effigie. Le
plus curieux de l’affaire est que la prise de Fontarabie n’eût pas été de
grande conséquence, la valeur stratégique de la ville étant médiocre. Mais
l’échec que nous essuyâmes devant cette petite ville désola la Cour, la ville
et le royaume tout entier, et humilia profondément le peuple français. La
panique de soldats braves et aguerris au moment de pénétrer dans la brèche de
Fontarabie demeura inexplicable et fut jugée déshonorante. Mais, belle
lectrice, de grâce, attendez la suite. Ne faites pas cette triste figure et
n’ayez pas la crête tant rabattue.
— Je suis femme, Monsieur, je n’ai donc pas de crête et
je n’ai pas à la redresser. Mais je suis triste pour ces pauvres soldats. Après
tout, pourquoi un soldat n’aurait-il pas peur, quand il s’enfourne dans une
brèche où l’attend le feu nourri de mousquets et de canons ?
— C’est bien raison.
— Vous m’approuvez, beau Sire ?
— Non seulement je vous approuve, mais je vous rebiscoule
tout aussitôt par un éclatant succès.
— Mon avide ouïe vous écoute.
— Chose étrange, ce succès nôtre fut remporté par un
général saxon.
— Un Saxon, Dieu bon ! Un Impérial !
— Nenni, un Saxon, mais non un Impérial, lequel ayant
été dépouillé dans son fief par les Habsbourg ne les portait pas précisément
dans son cœur. M’amie, je vous présente céans le duc de Saxe-Weimar, capitano
di ventura , comme disent les Italiens, ou si vous préférez condottiere ,
ce qui veut dire qu’ayant appris le métier des armes, il avait recruté et
éduqué des mercenaires, et mettait son armée à la disposition des souverains
les plus riches d’Europe.
— Pourquoi devaient-ils être si riches ?
— Parce que le duc de Saxe-Weimar demandait pour prix
de ses services de gros boursicots de clicailles.
— Et comment était le duc ?
— Vous voulez dire en sa corporelle enveloppe ?
— Oui-da !
— Question bien féminine, mais j’y réponds. Il était
grand, mince, l’épaule carrée, l’air fier et pas très doux.
— Et était-il, comme vous, grand admirateur du gentil
sesso ?
— Un ogre affamé n’eût pas été plus dévorant.
Toutefois, étant gentilhomme, quand il avait pris ville, il
ne forçait ni dames ni caillettes. Il les laissait venir à lui.
— Et que faisait-il de son armée ?
— Ne vous l’ai-je pas dit ? Il la louait.
— À qui ?
— De prime au roi de Suède qui lui dut ses victoires
contre les Impériaux, et en 1635, grâce à Dieu, à Louis XIII.
— Bravo !
— Bravo, en effet. Bravo mais très coûteux. Le duc
exigeait un subside annuel d’un million six cent mille écus qu’on lui devait
payer d’avance, plus le pain et la solde pour dix-huit mille soldats.
— Bougre !
— Madame, ne dites pas « bougre », cela ne
convient pas à une dame de
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