Le Glaive Et Les Amours
Brisach deux
régiments, avec les canons et les maçons demandés, et aussi quantité de vivres,
encore que le pays autour des deux villes ne fût pas pauvre. Mais Richelieu
voulait éviter par là les réquisitions qui nous eussent valu d’être désaimés
par la population. Ordre fut donné aussi aux soldats de ne rien prendre aux
marchands qu’ils n’eussent dûment payé. Le roi nomma Guebriant au commandant de
Brisach, et d’Erlach fut nommé commandant de Fribourg, et on lui donna comme
second le jeune Turenne. D’Erlach était ainsi récompensé d’avoir corrigé tout
de gob la mala fides [25] du duc
de Saxe-Weimar en nous remettant les deux villes. Quant au jeune Turenne, on
lui promit un commandement en Allemagne qu’on lui eût d’ailleurs donné tout de
gob s’il n’avait pas été le fils du duc de Bouillon, traître à Louis.
Cependant, il n’avait pas à se faire beaucoup de tracassin pour l’avenir car,
aussi bon diplomate qu’il était bon soldat, il avait su gagner la faveur de
Richelieu.
Lecteur, tu imagines avec quelle joie, mon rapport fait, je
gagnai ma chacunière et celle qui en était l’âme et le plus bel ornement. Les
enfantelets dormaient encore, tant est que je dus attendre pour les ococouler
dans mes bras. Mais dès lors que je fus lavé et bichonné de la main de
Catherine, je me jetai sur notre couche pour y retrouver, comme dit joliment
Homère dans son Odyssée , « les droits d’autrefois ». Nos
tumultes achevés, commença alors un longuissime babil des courtines sur ma
mission à Brisach que Catherine, de son côté, écouta avec une affectueuse
courtoisie. Toutefois, mon récit terminé, elle s’anima et voulut savoir comment
j’étais logé à Brisach.
— Chez une accorte veuve qui me dit dès
l’entrant :
« Ach ! Herzog ! Sie sind
ein sehr schöner Mann. »
— Ce qui veut dire ?
— « Ah, duc ! Vous êtes un très bel
homme ! »
— Quel beau début ! dit Catherine, les dents
serrées et l’œil étincelant. Et que fit encore cette dévergognée femelle ?
— Mais rien du tout, vu que je vous fus, Madame,
adamantinement fidèle.
— Vous ne le fûtes pas toujours.
— Dieu du Ciel ! Et pourquoi faut-il que le présent
répète sans fin le passé ?
— Donc point de doux regards ? Point de frôlements
fortuits ? Pas de petites mines languissantes ?
— Rien de tout cela.
— Si je vous en crois, vous dormîtes seul comme moine
escouillé en sa cellule.
— Nenni, Madame, je ne dormis pas seul.
— Eh quoi ! Vous avouez ! Vous avez le front
d’avouer !
— Je n’avoue rien du tout. Pendant tout mon séjour à
Brisach, je partageai chambre et lit avec le comte de Guebriant, gentilhomme
breton d’une piété édifiante. Madame, poursuivis-je, allez-vous meshui
m’accuser d’être bougre ?
— Monsieur, vous êtes un méchant ! dit Catherine
avec une petite mine contrite, feinte ou spontanée, mais qui, de toute façon,
me fit fondre le cœur.
Je la couvris alors de baisers, et je fus allé plus loin, si
on n’avait pas alors toqué à l’huis.
— Qui êtes-vous et que voulez-vous ? criai-je
d’une voix escalabreuse.
— Monseigneur, dit la nourrice Honorée, c’est Emmanuel
et Claire-Isabelle qui se languissent de vous voir, sachant que vous êtes de
retour.
— Donnez-leur l’entrant, dis-je avant que Catherine ait
eu le temps de protester en disant que c’était donner là aux enfants une bien
mauvaise habitude.
Par bonheur, ils étaient pieds nus tous les deux, car dès
leur entrant ils envahirent le lit pour nous étreindre.
*
* *
Le lendemain de mon arrivée j’allai au Louvre voir le
cardinal et lui dis ma râtelée de ce qui s’était passé à Brisach avec le duc de
Saxe-Weimar. Conte qu’il écouta avec la plus grande attention.
— C’est bien dommage, dit-il, d’avoir à recourir à ces
condottiere. Ils n’ont ni foi ni loi, et ne rêvent que sang. Mais à la parfin
Brisach et Fribourg sont à nous et ferment aux Espagnols la voie de terre pour
gagner les Pays-Bas. C’est un grand succès à l’Est, et meshui nous allons faire
de notre mieux en reprenant l’Artois aux Espagnols.
*
* *
— Mais comment ? L’Artois n’est pas à nous ?
— Hélas non, belle lectrice. Conquis par Louis IX,
le comté d’Artois revint par mariages et donations aux Habsbourg et, après
plusieurs péripéties, il appartenait encore à l’Espagne quand
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