Le Glaive Et Les Amours
et
chantait les louanges de sa province avec un amour tel et si fervent que vous
sentiez bien qu’il serait déplacé de dire du bien de la vôtre. Le comte était
aussi fort confit en dévotion et il eût voulu qu’avant de s’aller coucher nous
chantions d’une même voix les louanges du Seigneur, estimant que nos oraisons
conjuguées auraient plus de chance de se faire entendre du Seigneur. Je noulus
toutefois, arguant que la tradition de ma famille était pour chacun d’entre
nous de prier seul et à voix basse. C’était là un blanc mensonge, car je craignais
en réalité que le comte breton m’entraînât dans des oraisons répétitives
auxquelles, comme on sait, je suis hostile, pour la raison que la récitation à
l’infini des Pater et des Ave devient à la longue trop mécanique
pour sortir du bon du cœur.
Le duc de Saxe-Weimar me recevait tous les midis à sa table
ainsi que le jeune Turenne, d’Erlach, et Guebriant. Nous tâchions tous,
d’Erlach compris, de le ramener à traiter notre roi avec plus d’équité, lui
ramentevant que sans les considérables subsides que Louis lui avait consentis,
et l’aide des régiments français de Guebriant, il n’eût jamais pu prendre
Brisach et Fribourg aux Impériaux. Mais le duc restait bouche cousue ou, s’il
ouvrait la bouche, c’était pour se lancer dans une description passionnée et
quasi amoureuse de son duché futur.
Sa résolution me parut si adamantine que je vis bien qu’il
serait impossible de l’amener à renoncer à la possession de Brisach et
Fribourg, et je songeais déjà à faire mes paquets, bien marri de mon échec, et
la crête bien rabattue à la pensée de me présenter devant mon roi, les mains
vides, quand un événement des plus inattendus survint : le dix-huit
juillet 1639, le duc de Saxe-Weimar fut saisi le matin d’une fièvre qui
l’emporta en quelques heures. Il avait trente-sept ans. Son second, d’Erlach,
prit alors le commandement de son armée de condottiere, et sans aucune pression
ni prière de notre part, nous déclara tout de gob qu’il respecterait le traité
avec la France et rendrait à notre roi Brisach et Fribourg.
Quand le duc mourut, Guebriant s’écria : « C’est
là, de toute évidence, un décret de la Providence ! Le Seigneur punit
l’infâme déloyauté de ce pauvre duc. » En prononçant ces paroles, le comte
me lança un regard triomphant, pensant que j’allais abonder en son sens. Je
n’en fis rien, croyant, à voir tant de méchants ramper impunis sur la surface
de la terre, que le Seigneur aurait fort affaire, s’il devait les frapper tous
à la fleur de l’âge et les appeler en son Enfer.
Je laissai à d’Erlach, Guebriant et Turenne le soin de
défendre et commander les deux villes et, sur leurs instantes prières, je
promis de demander au roi qu’on leur dépêchât au plus vite de la poudre, des
boulets, des canons et des mèches, et aussi des maçons pour réparer au plus
vite les brèches que le duc de Saxe-Weimar avait pratiquées dans les
fortifications pour s’emparer des deux villes.
Bien que le temps de cet automne fut doux et ensoleillé, mon
retour à Paris me parut démesurément long, tant mon impatience était grande de
revoir mon hôtel de la rue des Bourbons et ceux qui m’y attendaient, et grande
aussi la joie d’apprendre à Louis et à Richelieu que Brisach et Fribourg
appartenaient d’ores en avant à la couronne de France. Cette conquête était, en
effet, de très grande conséquence sur l’échiquier de la guerre. Comme je l’ai
déjà dit, il ne restait plus aux Espagnols que la voie de mer pour ravitailler
en hommes les Pays-Bas. Mais en fait cette voie-là était peu sûre. Elle était
même fort aléatoire, comme l’averra le combat naval qui se déroula en l’automne
1639 dans la Manche entre une armada espagnole transportant vingt mille soldats
destinés aux Pays-Bas et, d’autre part, la flotte hollandaise commandée par
l’amiral Tromp. Les Hollandais leur tombèrent sus à proximité de Douvres, et
les Espagnols perdirent non seulement de bons et beaux vaisseaux, mais douze
mille hommes. L’isolement des Pays-Bas espagnols était maintenant presque
achevé, au grand soulagement du roi et de Richelieu. D’ores en avant, une
attaque contre notre frontière du Nord n’était guère concevable.
Dès que je fus revenu en Paris, je fis un long et détaillé
rapport au roi qui décida tout de gob d’envoyer en renfort à
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