Le Glaive Et Les Amours
au mieux, mais plutôt mal que bien, par sa vêture, et ses beaux
yeux noirs la trahissant dès qu’ils se posaient sur un homme.
— Ma fé ! me glissa Nicolas à l’oreille, Monsieur
de Guron désire, même en campagne, conserver ses commodités. Mais si le roi
s’en aperçoit, il se mettra dans ses fureurs, vu qu’il est comme le chien du
jardinier qui ne mange pas les choux, mais ne permet pas aux passants de les
manger.
— Nicolas, dis-je sotto voce , es-tu fou devenu
que tu compares le roi à un chien de jardinier ?
Mais dès que les cahots sur le pavé commencèrent, Nicolas me
glissa à l’oreille, plus excité qu’une puce :
— Monseigneur, croyez-vous qu’à l’étape je coucherai,
comme à l’accoutumée, avec l’écuyer de Monsieur votre ami ?
— Fi donc de ce stupide rêve ! dis-je sotto
voce. Crois-tu que Monsieur de Guron puisse se passer de son écuyer pour se
déshabiller ?
Comme nous approchions de Soissons, Sa Majesté me fit savoir
qu’elle me voulait dans sa carrosse pour lui servir de témoin.
« Témoin de quoi ? » m’apensai-je stupéfait.
Néanmoins, laissant Nicolas dans ses rêves et Monsieur de Guron dans les siens,
mais ceux-là toutefois plus réalisables, je gagnai la carrosse du roi où je
trouvai, outre le roi, Richelieu et Cinq-Mars. Je saluai protocolairement Sa
Majesté et Son Éminence, et poliment Cinq-Mars, mais Monsieur le Grand me
rendit à peine mon salut, me toisant du haut de sa grandeur future, car le
béjaune aspirait, dans sa folle outrecuidance, aux plus hautes fonctions du
royaume.
— Sioac, me dit Louis, prononçant mon nom comme
en ses enfances quand il jouait au soldat avec moi dans le jardin de Saint-Germain-en-Laye,
nous avons besoin de vous comme témoin à un contrat signé par moi-même et
Monsieur le Grand. Monsieur de Noyers, qui l’a écrit de sa main, va vous le
lire.
« Aujourd’hui, neuf mai 1640, le roi étant à Soissons,
Sa Majesté a eu pour agréable de promettre à Monsieur le Grand que, de toute
cette campagne, Elle n’aurait aucune colère contre lui ; et que s’il
arrivait que ledit sieur le Grand lui en donnât quelque léger sujet, la plainte
en sera faite par Sa Majesté à Monsieur le cardinal sans aigreur, afin que, par
l’avis de Son Éminence, ledit sieur le Grand se corrige de tout ce qui pourrait
déplaire au roi. Ce qui a été promis réciproquement par le roi et par Monsieur
le Grand [26] en présence de Son
Éminence. »
En signant ce texte après Sa Majesté, Richelieu et
Cinq-Mars, je ne laissai pas de le trouver quelque peu enfantin. Mais à y
réfléchir plus outre, j’entendis qu’il témoignait bien au rebours de la finesse
politique de Richelieu, pour la raison que ce contrat, faisant de lui un
arbitre, lui permettrait de connaître au jour le jour tout ce qui pourrait se
passer de fâcheux entre le roi et Monsieur le Grand. Quant à celui-ci,
Richelieu redoutait son ambition, tout enfantine qu’elle fût, puisqu’elle ne
s’appuyait sur aucun talent ! Cinq-Mars donna, de reste, une nouvelle
preuve de sa forfanterie en réclamant, à peine arrivé devant Arras, le
commandement du siège. Oyant quoi, le cardinal rougit de colère, tandis que le
roi sourit avec le plus grand dédain.
— Monsieur le Grand, dit-il, la guerre n’est pas une
œufmeslette que l’on cuit en un tournemain. C’est un art difficile qui demande
un long apprentissage. Le maréchal de La Meilleraye, dont la suffisance [27] est depuis longtemps reconnue, a
admirablement commencé les travaux d’encerclement d’Arras. Vais-je remplacer le
maître par un apprenti ?
Cependant Richelieu, craignant que cette rebuffade n’amenât
une nouvelle brouillerie entre le roi et son favori, entreprit de radoucir le
vinaigre royal par une cuillerée de miel.
— Monsieur le Grand, dit-il d’une voix suave, Sa
Majesté, qui admire votre impatience à vous exposer, sera sans doute amenée, au
cours du siège, à vous donner un commandement qui requiert moins de science,
tout en répondant au désir que vous avez de La servir.
Cependant, tandis qu’il débitait d’une voix suave ces propos
lénifiants, Richelieu commençait pour la première fois à sentir quelque petite
puce au poitrail au sujet de l’ambition qu’avait montrée là le pimpreneau, et
prit note qu’il faudrait à l’avenir y veiller. Et chose étrange, Richelieu ne
savait pas encore ce que savait toute la Cour, à savoir que Cinq-Mars
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