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Le Glaive Et Les Amours

Le Glaive Et Les Amours

Titel: Le Glaive Et Les Amours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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mais à mon endroit fort
affectueux. La fille m’apportait le déjeuner le matin dans ma chambre, et
demeurait debout au bord de mon lit en attendant que j’eusse fini. Elle était
fort jeune et fort fraîche, et dès que je terminais ma repue, comme les manches
de sa robe de nuit étaient fort larges, je glissais par son ouverture ma main
et lui caressais le haut du bras. Caresse qu’elle accepta sans broncher, en
fermant les yeux. J’aurais pu, je crois, aller plus loin. Mais elle était si
jeune et si naïve que je noulus. Elle avait le regard doux que Botticelli donna
à sa Vénus quand elle naquit sous son pinceau.
    — Donc, point d’amourette ?
    — Non, mais une émotion qui dure encore et qui me
ravit, dès lors que la scène me revient en ma remembrance.
    — Et partagiez-vous encore votre logement avec Monsieur
de Guron ?
    — Nenni, et j’en étais fort aise, car si bon garçon
qu’il est, il n’en ronfle pas moins impitoyablement. Cette fois-ci, j’étais
avec le comte de Sault.
    — Le comte de Sault, le plus beau cavalier de la Cour !
Celui avec qui vous partageâtes les « fournaises ardentes » de Suze.
    — Erreur, Madame. Ramentez-vous, je vous prie, qu’il
les avait pour lui seul. Je m’abstins en cette occasion.
    — À contrecœur ?
    — Je dirais plutôt à contre-corps, car le cœur était,
comme vous savez, à Paris dans mon hôtel de la rue des Bourbons.
    — Et que faisait le comte quand votre Botticelli vous
apportait votre déjeuner au lit ?
    — Il prenait le même dans la cuisine.
    — Dans la cuisine ? Dieu bon !
    — Cela ne le gênait pas. Le logis était, d’ailleurs,
fort propre.
    — Revenons au siège d’Arras.
    — Nous prîmes la ville après deux mois de siège et le
maréchal de La Meilleraye, qui ne manquait pas d’un certain esprit gaillard et
militaire, dit à cette occasion : « Preuve que les souris peuvent
manger les chats… »
    « Pour en revenir à Arras, nous l’aurions occupée moins
vite si les Espagnols n’avaient pas négocié avec nous. Ils demandaient, s’ils
nous livraient la ville, de les laisser partir avec armes et bagues [28] . Ce qui se fit avec toute la dignité
requise, Louis interdisant aux nôtres cris et injures au départir des
Espagnols.
    — Après quoi, Monsieur, je suppose, la ville fut mise à
sac ?
    — M’amie, vous vous gaussez ! C’est le duc de
Saxe-Weimar qui « met à sac » les villes prises, avec force
forcements de filles, sans compter les brutalités infligées aux hommes et le
pillage. Louis le Juste, lui, interdit ces ignominies, sans réussir toutefois à
empêcher la picorée.
    — La picorée ?
    — Autre nom pour pillage, et fort expressif : on
croit voir une nuée de corbeaux s’abattre sur un champ de blé. Le roi résolut
de prime de nourrir les squelettiques rescapés pour qu’ils reprissent forme
humaine. Et en même temps il résolut d’attirer, par des primes alléchantes, à
Arras, d’autres couples provenant d’autres provinces françaises pour étoffer la
population de la ville reconquise et lui permettre de retrouver sa prospérité
d’antan.
     
    *
    * *
     
    Je croyais qu’Arras prise, le roi retournerait sans tant
languir à Paris et chacun se réjouissait déjà de retrouver sa chacunière.
Hélas, le roi ne quitta pas l’Artois, voulant demeurer à proximité de son armée
jusqu’à ce que fussent reconquises toutes les villes de la province, ce qui se
fit sans grande difficulté, la capitulation d’Arras ayant convaincu les
Espagnols de l’invincibilité des Français. Pour ma part, je demeurai à Douai
avec mes hôtesses.
    Elles parlaient un jargon de pays assez particulier, et se
prénommaient, la mère, Marie, et la fille, Anne-Marie. Chaque jour, après le
dîner, elles jouaient aux dames, et comme la mère l’emportait toujours sur sa
fille, le plus souvent en trichant, je me permis de le lui faire remarquer.
Mais loin de se démonter, elle me répliqua vertement.
    —  Les revetchians n’ont rin à dire.
    Ce qui, je suppose, signifiait « Les spectateurs n’ont
rien à dire ».
    Pour me faire pardonner mon indiscrétion, j’envoyai le
lendemain Nicolas quérir une bouteille de bon vin à laquelle elles firent grand
honneur, la vidant sans coup férir, en moins d’une demi-heure. Je remarquai
bientôt que, lorsqu’elles étaient émues par quelque incident domestique, elles
s’écriaient « Bonne mère ! » ou « Sainte

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