Le Glaive Et Les Amours
plus odieuse, même avec le roi. Qui
pis est, il était grand menteur, grand porteur de fausses nouvelles ou de
fausses vérités.
Dès le lendemain de mon retour d’Arras, je me rendis comme à
mon ordinaire au Louvre, où le cardinal me dit que le roi me désirait voir. Sa
Majesté était encore au lit, mangeant sans appétit une tartine de beurre, l’air
triste et tracasseux.
— Ah, Sioac ! me dit-il, comme je suis aise
de vous voir ! Et quel contentement me donne la droiture que je lis dans
vos yeux !
— Sire, dis-je, cette droiture est tout entière à votre
service.
— Je n’en doute pas. Sioac, combien de langues
parlez-vous ?
— Pour vous servir, Sire, l’anglais, l’italien et
l’allemand.
— Il me plairait que vous appreniez l’espagnol, et le
plus vite qu’il vous sera possible. Car la situation au Roussillon ne me plaît
guère et je désire reprendre Perpignan aux Espagnols, tant est que je voudrais
que vous vinssiez avec moi et me serviez d’interprète.
Là-dessus, il poussa un gros soupir, et comme ce soupir me
parut sans aucun rapport avec le sujet qu’il venait de traiter, j’osai lui
demander s’il allait bien.
— Nenni, dit-il, je suis si plein de rage que j’en
perds le sommeil ! Cet homme [29] me
tue ! Tant plus on témoigne l’aimer, tant plus il se hausse et s’emporte.
Je ne peux plus supporter ses hauteurs.
Et tout soudain, se laissant aller à la colère la plus
escalabreuse, lui qui était d’ordinaire si maître de lui, il s’écria :
— Cet homme ! devant moi ! avec sa
morgue !
CHAPITRE VIII
Le lendemain du jour où le roi émit cette plainte indignée,
le révérend docteur chanoine Fogacer (mon maggordiomo n’omettait jamais
un seul titre de mes visiteurs) vint prendre avec Catherine et moi sa repue de
midi, et comme le voulait l’us, la repue terminée, je me retirai avec lui dans
mon cabinet pour boire un dernier gobelet de mon vin de Bourgogne, non sans
avoir hypocritement invité Catherine à se joindre à nous, offre qu’elle déclina
comme elle le devait, avec un sourire suave et des sentiments qui l’étaient
moins. Le lecteur ne peut qu’il ne se souvienne que Fogacer et moi échangions
alors avec tact, un pied en avant et l’autre déjà sur le recul, quelques
confidences répétées par moi au cardinal, et par Fogacer au nonce apostolique.
Ce jour-là, je lui contai ce que le roi avait dit de
Cinq-Mars, et que le lecteur connaît déjà.
— Dieu bon ! dit Fogacer. Je n’en crois pas mes
oreilles ! Comment Louis, qui est si imbu de ses prérogatives royales, qui
n’hésite pas à chanter pouilles à son Parlement, à ses évêques, à disgracier un
courtisan parce qu’il a quitté la Cour sans sa permission, et même à condamner
à mort un duc et pair, peut-il supporter les insolences de cet infernal
coquelet ?
— Il l’aime, comme il a aimé Mademoiselle de La Fayette
ou Mademoiselle de Hautefort. D’autres, au rebours, font circuler à voix
feutrée des bruits infamants.
— Infamants et faux, dit Fogacer, car à mon
sentiment il n’y a pas le moindre soupçon de bougrerie dans cet attachement-là.
— Et sur quoi vous fondez-vous pour en être si
sûr ?
— Primo , parce que la reine n’est aucunement
jalouse de cet attachement, alors qu’elle l’était à l’égard de Mademoiselle de
La Fayette. Secundo , je suis bien assuré sur le fait que le roi, étant
fort pieux, ne voudrait pas perdre son paradis par un acte qui serait à la fois
un adultère et une sodomie. Ramentez-vous, de grâce, que Louis est cloué comme
un saint sur le Décalogue.
— Mais comment peut-on s’éprendre à ce point de ce
petit pimpreneau de cour ?
— Mon cher duc, quand on est comme vous un fervent
adorateur du gentil sesso , frémissant au moindre frôlement d’un
vertugadin, on ne peut rien entendre à d’autres émois.
— Admettons ces émois-là, si surprenants qu’ils me
paraissent. Mais comment Louis peut-il supporter que ce coquelet passe ses
soirées avec Marion de Lorme, ses matins à dormir et le reste du temps à ne
rien faire ?
— À vrai dire, le roi souffre mal les trahisons de son
favori, ses insolences et ses indolences. On m’a conté qu’avant-hier il le
gourmandait très fort à ce propos.
« — Pour un homme de votre condition, lui a-t-il
dit, qui doit songer à se rendre digne de commander une armée, la paresse est
absolument un obstacle.
« — Mais je
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