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Le Glaive Et Les Amours

Le Glaive Et Les Amours

Titel: Le Glaive Et Les Amours Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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entendre sa prière, il allait se retirer dans son fief du Havre. Et
il l’eût fait, à ce que je crois, si le roi n’avait pas cédé. Mais le roi
noulut le pousser à bout, car de toute évidence, Richelieu était si faible et
si mal allant qu’il serait mort en route, et Louis ne voulait pas que cette
mort lui fut un jour imputée.
    Dieu sait comment la rebuffade infligée à Chavigny fut
connue de la Cour, mais aussitôt nos pimpreneaux et nos pimpésouées de cour en
firent des plaisanteries à l’infini. Tant est que pour rompre, ou feindre de
rompre avec leurs amants, les belles disaient meshui à leurs beaux :
« D’ores en avant, je ne vous saurais souffrir. »
    Dès que Richelieu allait un peu mieux (et il eut, en effet,
quelques rémissions), il se croyait alors guéri et se berçait de faux
espoirs : le roi mourait, bien entendu avant lui, la reine était proclamée
régente, et il devenait aussitôt de nouveau le tout-puissant ministre de Sa
Majesté.
    Je l’appris et je demandai à Fogacer si à son sentiment cela
était possible.
    — Certainement pas, dit Fogacer, Richelieu déteste les
femmes et en conséquence ne saurait ni se plaire à elles, ni leur plaire,
marchant avec elles de bévues en bévues. La Cour vient d’en avoir, durant sa
maladie, un exemple éclatant.
    — Comment cela ?
    — Quand le cardinal était à Rueil, déjà fort mal
allant, la reine l’alla visiter. C’était fort gracieux de sa part, mais non
étonnant, car par trois fois, dans l’affaire Chalais, l’affaire des lettres
espagnoles et l’affaire du traîtreux traité, il avait empêché le roi de la
répudier.
    — Qui eût cru chez le cardinal à une telle douceur de
cœur ?
    — Ce ne fut pas douceur de cœur, dit Fogacer avec un
sourire, mais calcul. La reine, quoique peu fiable, était indispensable au roi
puisqu’il attendait d’elle un dauphin. Quant à la répudier, il ne fallait même
pas y penser, car il était fort peu probable que le pape pût accepter un
divorce et un remariage.
    — Revenons à la visite de la reine au pauvre mal
allant. La visite étant si généreuse, elle eût dû se passer bien. Elle se passa
fort mal. Quand la reine entra, elle fut fort surprise que le cardinal ne se
levât pas de son fauteuil. Et au lieu de s’en excuser sur sa faiblesse, ce qui
eût attendrézi sa visiteuse, Richelieu lui fit remarquer qu’en Espagne les
cardinaux avaient le fauteuil devant les reines. Dans son orgueil, il se
mettait sur le même pied qu’elle et même un peu au-dessus d’elle. La reine ne
put souffrir pareille insolence. Regard absent et bouche cousue, elle quitta aussitôt
la pièce.
    — Et comment, à votre sentiment, Richelieu ressentit-il
cette écorne ?
    — Avec indifférence, ayant de la reine la plus pauvre
opinion. Et qui pourrait en avoir une après toutes ses traîtreuses
entreprises ?
    — Duc, dit Fogacer avec son lent et sinueux sourire,
ses sourcils blancs remontant vers les tempes, le roi étant si mal allant,
souvenez-vous qu’à sa mort la reine sera notre régente, et qu’il faudrait mieux
éviter à son endroit des propos messéants, si on ne veut pas être accusé du crime
de lèse-majesté au premier chef.
    — Mon ami, dis-je, je m’en ramentevrai.
    — La Cour dit que Richelieu est quasi au grabat [32] . Qu’en est-il ?
    — On dit vrai, hélas !
    — Je l’admirais fort, et pour de bonnes raisons. Je ne
sais plus qui a dit : « Il a mis la France au plus haut point de
grandeur où elle eût été depuis Charlemagne. » Cela éclate aux yeux. Mais
toutefois il faudrait ajouter que le roi eut le courage de supporter son
caractère escalabreux.
     
    *
    * *
     
    — Monsieur, un mot de grâce. On dit que Richelieu est
quasi au grabat. Qu’en est-il vraiment ?
    — On dit vrai.
    — Vous l’aimiez fort, je crois.
    — Aimer n’est peut-être pas le mot qui convient. Je ne
sais pas qui pouvait aimer Richelieu. Son génie était trop écrasant. Il savait
tout du passé, donnait des leçons d’histoire militaire à nos maréchaux,
prévoyait l’avenir, et ne s’est jamais trompé dans ses prévisions. Sa force de
travail était surhumaine. Personne n’a pu dire s’il dormait vraiment la nuit.
Mais de toute évidence il n’eût pu rien faire, si Louis n’avait pas eu assez
d’esprit ni assez d’abnégation pour reconnaître son génie, tant son caractère
était difficile à supporter. C’est pourquoi je ne les veux

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