Le grand voyage
Les
terres qui bordaient le glacier n’étaient qu’une immense et riche prairie. Les
plantes herbacées envahissaient tout, des vallées jusqu’aux collines battues
par les vents. Seuls les montagnes, rivières, lacs et mers, qui dégageaient
assez d’humidité pour permettre aux arbres de pousser, faisaient intrusion dans
les vertes prairies nordiques de l’Ere Glaciaire.
Ayla et Jondalar sentirent que le sol s’inclinait au fur et à
mesure qu’ils approchaient du grand fleuve, dont ils étaient pourtant encore
assez éloignés. Bientôt, ils se retrouvèrent perdus dans de hautes herbes. Même
en se haussant sur Whinney, Ayla n’apercevait que la tête et les épaules de
Jondalar, noyé au milieu des herbes de deux mètres cinquante, et dont les tiges
aux sommets duveteux ou couronnés de fleurs minuscules s’agitaient au gré du
vent, formant une surface dorée aux reflets rougeâtres, sur un océan bleu-vert.
Elle voyait apparaître et disparaître la monture marron et devinait Rapide plus
qu’elle ne le reconnaissait.
Ayla se félicitait d’être à cheval. La barrière verte s’ouvrait
sur leur passage sans offrir de résistance, mais ils voyaient à peine plus loin
que les herbes les plus proches et, derrière eux, le mur se reformait, effaçant
toute trace de leur passage. Leur vue se limitait à leur espace immédiat, comme
s’ils se déplaçaient avec lui. Seuls, l’astre incandescent traçant sa route
dans l’azur immaculé, et la courbure des tiges indiquant le sens du vent, les
guidaient dans leur marche et évitaient qu’ils ne fussent séparés l’un de l’autre.
Tout en chevauchant, Ayla entendait le murmure du vent et les
moustiques susurrer à ses oreilles. Au milieu des herbes denses, l’air était
chaud et étouffant. Bien qu’Ayla vît les tiges s’agiter, elle ne sentait aucun
courant d’air. Un bourdonnement de mouches et une odeur de crottin lui
apprirent que Rapide venait de se soulager. Son fumet lui était aussi familier
que celui de sa jument... ou même que sa propre odeur, et Ayla aurait deviné
que le jeune étalon était passé par là même si elle n’avait pas su qu’il la
précédait de quelques pas. L’air était chargé des arômes d’un humus riche et d’une
végétation bourgeonnante. Elle ne classait pas les odeurs en bonnes ou en
mauvaises, l’odorat était pour elle comme la vue ou l’ouïe, un sens qui l’aidait
à percevoir et à analyser le monde extérieur.
Au bout d’un certain temps, la monotonie du paysage, haies après
haies de tiges vertes, la cadence régulière du cheval, et la chaleur du soleil,
presque à la verticale, engourdirent la conscience d’Ayla. Les longues tiges
minces se brouillèrent en une tache verte qu’elle ne voyait même plus. Mais peu
à peu, elle découvrit une autre végétation : il n’y avait pas que de l’herbe
dans cette prairie, et comme d’habitude elle le nota inconsciemment. C’était sa
manière d’aborder le monde.
Là, se dit Ayla, un animal a dû laisser cette trace en se
roulant dans l’herbe... tiens, des pattes-d’oie, comme Nezzie appelait l’ansérine
qui poussait près de la caverne du Clan. Je devrais en cueillir, songea-telle
sans lever le petit doigt. Cette plante, avec ses fleurs jaunes et ses feuilles
enroulées autour de sa tige, c’est un chou sauvage. Ce serait bon aussi, pour
ce soir, songea-t-elle sans s’arrêter. Et ces fleurs mauves, avec leurs petites
feuilles et leurs gousses innombrables, ce sont des gesses. Sont-elles déjà
mûres ? Non, sans doute pas. Là-bas, cette large fleur blanche arrondie,
piquée de rose au milieu, c’est une carotte sauvage. On dirait que Rapide en a
piétiné les feuilles. Je devrais prendre mon bâton à fouir. Tiens, en voilà d’autres !
Oh, cela peut attendre, il fait si chaud, j’en trouverai toujours plus loin. On
dirait qu’elles pullulent par ici. Elle tenta d’écraser des mouches qui
volaient autour de ses cheveux trempés de sueur. Au fait, je n’ai pas vu Loup
depuis longtemps, où peut-il être ?
Elle chercha le louveteau et l’aperçut derrière la jument,
reniflant le sol. Il s’arrêta, leva la tête pour humer une nouvelle odeur, et
disparut dans l’écran de verdure, sur la gauche d’Ayla. Une libellule bleue,
aux ailes mouchetées, dérangée par l’intrusion de Loup, voltigeait au-dessus de
l’endroit où l’animal avait disparu comme pour en marquer l’emplacement.
Bientôt, un cri rauque et
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