Le grand voyage
se concentrer dans les racines qu’il fallait conserver
longtemps à l’abri de la lumière afin d’en augmenter l’effet.
Iza lui avait maintes fois répété comment fabriquer le breuvage
à partir des racines, mais elle avait toujours refusé qu’Ayla en préparât avant
le jour où elle se rendrait au Rassemblement du Clan. Le rituel était
indispensable à la fabrication, Iza avait insisté là-dessus. C’était une drogue
sacrée qu’on ne gaspillait pas. C’était précisément pour cette raison qu’Ayla,
sachant pourtant que c’était rigoureusement interdit aux femmes, avait bu la
lie restée dans le fond de la coupe antique d’Iza, après qu’elle eut fabriqué
le breuvage pour les mog-ur. Certes elle n’avait pas toute sa tête à ce
moment-là. Tant d’événements s’étaient produits, d’autres drogues avaient
obscurci son esprit, et la décoction de racines était si puissante que le peu
qu’elle avait avalé en le fabriquant avait suffi à lui tourner la tête.
Elle avait alors erré dans un labyrinthe de galeries étroites
creusé à l’intérieur d’une caverne profonde, et lorsqu’elle était tombée sur
Creb et les autres mog-ur, elle n’avait pas pu faire demi-tour quand bien même
elle l’eût voulu. Tout avait commencé là. Creb s’était rendu compte de sa
présence, et il l’avait entraînée avec eux dans le voyage à travers la mémoire.
Il le fallait, sinon elle aurait continué d’errer pour toujours dans le trou
noir du néant. Mais après cette nuit-là, Creb ne fut plus jamais le même. Il
cessa d’être le puissant Mog-ur, il n’avait plus le cœur à cela, excepté le
dernier jour.
Lorsqu’elle avait quitté le Clan, il lui restait encore des
racines. Elle les conservait dans sa bourse sacrée de cuir rouge, et Mamut s’était
montré très intéressé quand elle lui en avait parlé. Mais il n’avait pas autant
de pouvoirs que le mog-ur. Ou bien les Autres réagissaient différemment à la
plante. Mamut et Ayla s’étaient retrouvés dans le trou noir du néant et avaient
failli s’y perdre pour toujours.
Assise sur le sol moussu, Ayla, assaillie de souvenirs,
contemplait la plante en apparence inoffensive, et qui produisait pourtant une
drogue redoutable. Un nuage passa au-dessus de sa tête. Soudain, elle
frissonna. Elle plongea dans l’obscurité et se mit à revivre l’étrange Voyage
qu’elle avait fait avec Mamut. La verte forêt s’estompa et Ayla se sentit
happée par le souvenir de la caverne obscure. Sa bouche s’emplit d’un
arrière-goût d’humus et de moisissure provenant des forêts vierges primitives.
Elle tombait à une vitesse vertigineuse vers les mondes étranges qu’elle avait
visités avec Mamut, et la terreur du trou noir l’envahit.
C’est alors qu’elle perçut dans le lointain la voix vibrante d’inquiétude
et d’amour de Jondalar. Il l’appelait. Par la seule force de son amour, il
réussit à les tirer du néant, Mamut et elle. Tout à coup, elle revint sur
terre, transie jusqu’à l’os malgré la douceur d’une fin d’été ensoleillée.
— C’est Jondalar qui nous a fait revenir ! s’écria-t-elle.
A l’époque elle n’en avait pas été consciente. C’était lui qu’elle
avait vu en ouvrant les yeux, mais il avait subitement disparu, remplacé par
Ranec lui offrant un bol d’infusion chaude. Mamut lui avait affirmé que quelqu’un
les avait aidés à revenir, mais elle n’avait pas compris qu’il s’agissait de
Jondalar. Et soudain elle comprenait, comme si maintenant il était important qu’elle
l’apprît.
Le vieil homme s’était juré de ne plus jamais utiliser la
racine. Il avait mis Ayla en garde, mais il lui avait aussi conseillé de s’assurer
que quelqu’un l’assistât si elle devait en reprendre un jour. Quelqu’un qui
pourrait l’aider à revenir. Il avait affirmé que la racine était plus
dangereuse que la mort. Elle risquait de lui voler son esprit, et Ayla
tomberait pour toujours dans le trou noir du néant, incapable à jamais de
revenir vers la Grande Terre Mère. Cela n’avait plus tant d’importance puisqu’elle
n’avait plus de racine. Mais voilà que la plante sacrée se trouvait à ses
pieds.
Rien ne l’obligeait à la cueillir, songea-t-elle, et elle n’aurait
donc pas à se soucier de perdre ou non l’esprit. En outre, cette drogue lui
était interdite. Elle était réservée aux mog-ur pour communiquer avec le monde
des esprits, et les
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