Le grand voyage
réfléchir.
— Oui, c’est une fête importante, répéta-t-elle en
regardant Ayla droit dans les yeux.
Se doute-t-elle du danger qui la guette ? s’interrogea la
chamane. Si elle est bien celle que je crois, elle doit le savoir.
Ils quittèrent le logis de S’Armuna en prenant soin de baisser
la tête, et revêtirent leur pelisse. Ayla nota que la jeune femme enceinte
avait disparu. S’Armuna les conduisit ensuite à l’autre bout du camp, où
plusieurs femmes s’activaient autour d’une construction banale qui ressemblait
à une habitation semi-souterraine avec un toit incliné. Les femmes y rentraient
du bois, des excréments séchés et des os. Du combustible pour faire un feu,
conclut Ayla. Parmi les femmes, elle reconnut la future mère et lui adressa un
sourire. Cavoa esquissa en retour un sourire timide.
S’Armuna dut se courber pour entrer, mais Ayla et Jondalar hésitèrent
à l’imiter, ne sachant pas ce que l’on attendait d’eux. La vieille femme se
retourna et leur fit signe de la suivre. Dans le foyer, des flammes chatoyantes
s’élevaient des braises incandescentes, et chauffaient agréablement l’espace
semi-circulaire où des piles de bois, d’excréments et d’os s’amoncelaient. Des
omoplates et des os de bassin, calés sur des grosses pierres, servaient d’étagères
où étaient exposés divers petits objets.
Intrigués, ils s’avancèrent et reconnurent de petites figurines
de glaise qu’on avait laissées là, à sécher. Plusieurs d’entre elles
représentaient des femmes, des images de la Mère, mais n’étaient pas terminées.
On trouvait la partie inférieure d’un corps, un ventre reposant sur des jambes
sans pieds, ou encore deux grosses mamelles. Sur d’autres étagères s’étalaient
des animaux de toutes sortes, là encore incomplets : têtes de lion, d’ours,
ou corps de mammouth.
On devinait que les figurines avaient été façonnées par
plusieurs personnes. Certaines étaient grossières, d’autres plus sophistiquées
et réalisées avec art. Ayla et Jondalar ne comprenaient pas ce qui avait incité
les artisans à choisir leurs modèles, mais ils ne doutaient pas que chacun
avait puisé son inspiration dans des émotions intimes ou des motifs personnels.
En face de l’entrée, une ouverture plus petite donnait dans une
autre pièce creusée dans le sol de lœss d’une colline. Bien qu’il ouvrît sur le
côté, l’espace rappela à Ayla les fours des Mamutoï en plus profond. Ceux-ci
étaient creusés dans le sol, chauffés par des pierres brûlantes, et servaient à
la cuisson des repas. Mais Ayla devinait qu’aucune nourriture n’avait jamais
cuit dans ce four. Elle l’examina de plus près, et vit qu’une cheminée y était
installée.
Aux morceaux calcinés qu’elle aperçut dans les cendres, Ayla
comprit que le combustible était composé d’ossements, et elle chercha d’où
venait l’air. Il fallait pour brûler des os un feu ardent, ce qui exigeait un
tirage puissant. Les Mamutoï allumaient leur feu dans une fosse et le
maintenaient par un vent constant, canalisé dans des tranchées. Après un examen
minutieux, Jondalar était parvenu aux mêmes conclusions. La couleur des murs et
leur dureté lui avaient appris que des feux extrêmement vifs avaient embrasé
cette pièce, et il devina que les petits objets de glaise exposés sur les
étagères, attendaient d’y être plongés.
Il n’avait pas menti en affirmant n’avoir jamais vu d’objet
comme la statuette de la Mère que S’Armuna lui avait montrée. Cette statuette n’avait
pas été obtenue à partir d’un matériau naturel qu’on gravait, sculptait ou
polissait. C’était de la céramique, le premier matériau jamais créé par des
mains humaines, découvert par une intelligence humaine. La chambre chaude n’était
pas un four de cuisine, c’était un four à céramique.
Et ce premier four n’avait pas été inventé pour fabriquer des
ustensiles étanches et utilitaires. Bien avant la poterie, des petites
sculptures étaient chauffées dans ces fours pour acquérir une dureté
irréversible. Les objets qu’ils avaient découverts sur les étagères
ressemblaient à des animaux ou à des humains, mais les images de femmes – on
ne sculptait jamais de statuettes d’hommes – ou d’autres créatures
vivantes, ne se voulaient pas ressemblantes. C’étaient des symboles, des
métaphores, cherchant, au-delà des formes, à évoquer les lois de la
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