Le grand voyage
des robustes herbacées. La
surface était faite de fines stries parallèles extrêmement dures – plaques
de dentine recouvertes d’émail – et possédait des couronnes plus
hautes et davantage de stries que les dents de n’importe quelle autre espèce
existante ou à venir. Les mammouths étaient surtout des mangeurs d’herbe. En
hiver, les lambeaux d’écorce, les pousses printanières, les feuilles ou les
branches, même les petits arbustes qu’ils ajoutaient à leur menu ordinaire
constitué de grossières tiges ligneuses n’étaient que des à-côtés.
Les molaires précoces, les plus petites, poussaient les
premières vers l’avant des mâchoires. Les autres, à l’arrière de la mâchoire,
poussaient d’une façon régulière et continue pendant toute la vie de l’animal.
Une ou deux dents seulement étaient utilisées en même temps. Aussi dure que fût
la surface broyeuse, les dents s’élimaient peu à peu à mesure qu’elles
poussaient, et les racines finissaient par se désagréger. Enfin, les derniers
fragments de dents tombaient, et de nouvelles molaires les remplaçaient. Un
mammouth commençait à utiliser ses dernières dents vers cinquante ans, et quand
elles étaient trop usées il devenait incapable de mâcher les herbacées
rugueuses. Il pouvait encore manger des plantes plus tendres, des plantes
printanières, et la faim et le désespoir l’amenaient souvent à quitter le
troupeau pour chercher de meilleurs pâturages, mais il ne trouvait que la mort.
Le troupeau savait quand la fin d’un des siens approchait, et il n’était pas
rare qu’il l’accompagne dans ses derniers jours.
Les mammouths protégeaient les mourants avec autant de soin que
les nouveau-nés. Unissant leurs efforts, ils se groupaient autour de celui qui
était tombé de vieillesse et tentaient de le relever. A sa mort, ils l’enfouissaient
sous des piles de détritus, de feuillage ou de neige. On racontait que des
mammouths ensevelissaient aussi d’autres animaux, et même des humains !
En quittant la plaine alluviale et les mammouths, Ayla,
Jondalar et leurs compagnons à quatre pattes s’engagèrent sur un terrain plus accidenté
et plus pentu. Ils approchaient d’une gorge. Un pied de l’ancien massif
septentrional s’était étendu trop au sud, et les eaux de la Mère l’avaient
coupé en deux. En s’engouffrant dans le défilé, le débit s’accélérait et l’eau
coulait trop vite pour geler mais elle charriait des glaces flottantes
provenant des eaux plus calmes de l’amont. Après toute cette étendue de glace,
les voyageurs contemplaient avec étonnement les eaux tumultueuses. Au sud s’étendaient
des mesas [22] plantées de bois de conifères dont les branches enneigées scintillaient. Les
squelettes décharnés des arbres à feuilles caduques et des arbrisseaux étaient
enrobés d’une coulée de glace, vestige d’une pluie glaciale, qui soulignait
chaque branche et chaque brindille. Ayla était fascinée par la beauté du
spectacle hivernal.
L’altitude s’élevait toujours, après chaque crête, le vallon
suivant était plus haut que le précédent. L’air était froid, vif et limpide.
Même lorsque le ciel se couvrait, il ne neigeait jamais. Les précipitations se
faisaient plus rares à mesure que l’hiver avançait. La seule humidité provenait
de la buée exhalée par les deux humains et leurs compagnons de voyage.
A l’ouest, ils rencontrèrent une autre gorge. Ils escaladèrent
la crête rocheuse jusqu’à un promontoire qui dominait le paysage. Là, ils s’arrêtèrent,
saisis par la majesté du panorama. Les voyageurs ne savaient pas encore qu’ils
contemplaient pour la dernière fois la Grande Mère partagée en multiples
chenaux. Sous leurs yeux, la vallée alluviale s’incurvait brusquement dans une
gorge en un courant unique et tourbillonnant, charriant des blocs de glace et
des débris de toute sorte. Après une traversée mouvementée, les flots étaient
expulsés avec un formidable rugissement dans la vallée où ils gelaient de nouveau
rapidement.
Ayla et Jondalar observèrent un tronc d’arbre tournoyer en s’enfonçant
davantage à chaque nouvelle spirale.
— Je n’aimerais pas tomber là-dedans, avoua Ayla en
frissonnant.
— Moi non plus.
L’attention d’Ayla fut alors attirée par quelque chose à l’horizon.
— D’où viennent ces nuages de vapeur, Jondalar ?
demanda-t-elle. Il gèle et les collines sont couvertes de
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