Le grand voyage
ajouta-t-il en l’étreignant avec ferveur. Je ne crois pas que je
pourrais continuer à vivre.
Ayla s’émut d’une réaction aussi absolue.
— J’espère bien que si ! protesta-t-elle. J’espère
aussi que tu trouverais quelqu’un d’autre à aimer. Si un malheur devait te
frapper, une parcelle de moi, ou de mon esprit, disparaîtrait avec toi parce
que je t’aime. Mais je continuerais à vivre. Et une parcelle de ton esprit m’accompagnerait
partout.
— Je ne sais pas s’il me serait possible d’aimer quelqu’un
d’autre après toi. C’est déjà extraordinaire que de t’avoir rencontrée. Je ne
suis pas sûr que je chercherais à te remplacer.
Sans mot dire, ils revinrent ensemble au hallier. Ayla semblait
perplexe.
— Je me demande si c’est ce qui se passe quand on
aime ? Est-ce qu’on s’échange des parcelles d’esprit ? C’est
peut-être pour cela qu’on souffre tant de perdre ceux qu’on aime... C’est comme
les hommes du Clan, poursuivit-elle après réflexion. Ce sont des frères de
chasse, et ils s’échangent des parcelles d’esprit, surtout si l’un d’eux sauve
la vie d’un autre. On vit difficilement avec un morceau d’esprit en moins, et
chaque chasseur sait qu’une parcelle de son esprit partira dans l’autre monde
si son frère meurt. Alors il le surveille et le protège, et fait tout son
possible pour le sauver. (Elle considéra Jondalar avec curiosité.) Crois-tu que
nous ayons échangé des parcelles de nos esprits, Jondalar ? Nous sommes
partenaires de chasse, n’est-ce pas ?
— Oui, et tu m’as sauvé la vie. Mais tu es bien davantage
qu’un simple frère de chasse pour moi, continua-t-il, souriant de ce qu’il
venait de dire. Je t’aime. Je comprends seulement maintenant pourquoi Thonolan
ne voulait plus vivre quand Jetamio est morte. Parfois, je me dis qu’il
cherchait à atteindre l’autre monde, pour retrouver Jetamio et le bébé qu’elle
portait.
— Mais s’il m’arrivait malheur, martela Ayla avec conviction,
je ne voudrais pas que tu me suives dans le monde des esprits. Je préférerais
que tu restes ici, et que tu trouves une autre compagne.
Parler d’autres mondes lui déplaisait. Elle ignorait de quoi ces
autres mondes étaient faits, et même si, au fond de son cœur, elle croyait à
leur existence. Ce dont elle était sûre, c’était que pour connaître d’autres
mondes, il fallait déjà quitter celui-ci, et elle ne voulait pas que Jondalar
mourût, ni avant ni après elle.
Ses réflexions sur les mondes des esprits amenèrent d’autres
pensées.
— C’est peut-être ce qui arrive quand on vieillit,
supposa-t-elle. Si on échange des parcelles de son esprit avec, les êtres qu’on
aime, quand on en a perdu beaucoup, tant de morceaux d’esprit sont partis avec
eux qu’il n’en reste plus assez pour continuer à vivre. C’est comme un trou qui
se creuse de plus en plus. On peut rejoindre l’autre monde où demeurent la plus
grande partie de notre esprit et les êtres chers.
— D’où tiens-tu un si grand savoir ? s’amusa Jondalar.
Malgré son ignorance du monde des esprits, Ayla faisait des
hypothèses ingénieuses et spontanées témoignant d’une vive intelligence, et
Jondalar, bien qu’il n’eût aucun moyen d’en vérifier le fondement, trouvait ses
observations des plus cohérentes. Il regretta que Zelandoni ne fût pas là, il
aurait pu lui demander son avis. Soudain, il prit conscience qu’ils rentraient
chez lui, et qu’il pourrait bientôt la questionner.
— J’ai déjà perdu des parcelles de mon esprit quand j’étais
petite, continua Ayla. Et ceux qui m’ont vue naître ont été engloutis par le
tremblement de terre. Ensuite, Iza en a emporté un bout en mourant, puis Creb,
et Rydag. Et bien qu’il ne soit pas mort, Durc a gardé un morceau de mon esprit
que je ne récupérerai jamais. Ton frère a aussi emporté un morceau de toi,
Jondalar, n’est-ce pas ?
— Oui, c’est vrai, admit-il. Il me manquera, et j’en
souffrirai toujours. Il m’arrive de penser que c’était de ma faute, que j’aurais
dû le sauver.
— Et qu’aurais-tu donc pu faire ? La Mère le voulait,
et c’est Elle qui décide. Personne ne doit chercher le chemin qui mène à l’autre
monde. Arrivés au hallier de saules où ils avaient passé la nuit, ils
commencèrent à inspecter leurs affaires. Presque toutes étaient humides et
certaines complètement imprégnées. Ils défirent
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