Le guérisseur et la mort
l’étude d’une pile de documents qui attendaient d’être signés lorsqu’un coup léger frappé à la porte l’interrompit.
— Je croyais vous avoir demandé que l’on ne me dérange pas avant l’heure du déjeuner, Bernat, maugréa-t-il.
— C’est ce que j’ai fait, Votre Excellence, répondit le secrétaire.
— Qu’y a-t-il alors ?
— Un instant, Votre Excellence, je vais m’en occuper.
Bernat ouvrit la porte et dit sèchement, d’une voix qui n’acceptait aucune contestation, que Son Excellence ne désirait recevoir personne.
— Je sais qu’elle est là et je dois la voir !
La porte s’ouvrit toute grande et Regina passa devant le franciscain stupéfait.
— Votre Excellence, je ne vous demande qu’une minute.
— Maîtresse Regina, fit l’évêque d’un ton inquiet, l’état de l’enfant aurait-il empiré ?
— Non, il va très bien. Et il est fier d’avoir conversé avec un personnage de votre importance, Votre Excellence. Mais peut-être me direz-vous si Lucà a déclaré quoi que ce soit qui pût l’aider…
Les sanglots brisaient sa voix, mais elle se reprit.
— C’est si important pour mon père. Il le considère pour ainsi dire comme son fils, et il a vécu tant d’épreuves…
— Je crains qu’il ne nous ait rien confié, maîtresse Regina. Et bien qu’il persiste à affirmer qu’il n’a rien à voir avec ces morts, il semble assez étrangement qu’il se soit résigné à son destin.
— Me permettrez-vous de le voir ? Je suis sûre qu’il pourrait vous apprendre bien des choses s’il les croyait utiles à son salut. Il n’a pas l’habitude de parler de lui.
La prison de Son Excellence occupait une partie de l’étage inférieur du palais épiscopal, non loin des cuisines et des offices, et rien ne la distinguait du reste sinon qu’il fallait franchir une lourde porte pour y pénétrer. Elle n’était en règle générale pas très peuplée. Au fil des années, les détenus n’avaient été que des prêtres tombés dans le péché, des laïcs qui avaient eu l’idée saugrenue de commettre leurs forfaits au détriment de l’Église et quelques individus dont les crimes avaient débordé la frontière de la communauté juive, où ils auraient sinon été jugés et châtiés.
D’où qu’ils vinssent, les hôtes de la prison épiscopale ne passaient habituellement qu’un jour ou deux en cellule dans l’attente de leur procès. Lucà constituait une exception. Regina s’était attendue à le trouver enchaîné, et quelle ne fut pas sa surprise de le voir attablé avec son geôlier devant un panier de nourriture provenant de sa propre cuisine.
— Maîtresse Regina, dit Lucà en rougissant. Je ne m’attendais pas à vous voir ici.
— Son Excellence m’a accordé la permission de venir, expliqua-t-elle nerveusement, tout en jetant un coup d’œil au geôlier.
— Il est encore trop tôt pour déjeuner, dit ce dernier en se levant. Je vous souhaite le bonjour, maîtresse Regina. Je vais chercher quelque chose à ajouter à la manne que votre père a apportée. Vous serez plus à l’aise ici, je pense, si vous souhaitez rester un instant.
Regina retint son souffle jusqu’à ce qu’elle eût entendu le bruit de la clef dans la serrure.
— Il fallait que je vous voie.
— Asseyez-vous, je vous en prie, dit Lucà. J’ignore pourquoi vous vous inquiétez. Comme vous le constaterez, grâce à votre père, je ne manque de rien, et le brave homme qui s’occupe de cette prison me tient volontiers compagnie.
— Pourquoi refusez-vous de prouver votre innocence ? Pourquoi attendre ici, sans rien dire ni rien faire, qu’on vous juge et qu’on vous pende ?
Des larmes emplirent ses yeux et coulèrent sur ses joues ; elle les essuya d’un geste brusque, et attendit en silence une réponse.
— Regina, par pitié, ne pleurez pas. Je ne puis le supporter.
— Alors, parlez-moi. Expliquez-moi pourquoi vous vous jetez dans les mains du bourreau.
— Je ne fais rien de tel ! s’écria-t-il. Je ne sais comment m’expliquer et me défendre. Je n’ai pas commis ces crimes, même s’il apparaît que nul autre que moi ne pourrait les avoir commis. Maîtresse Regina, je vous le jure, je n’aurais pu faire ça, mais comment le prouver ? Au moins pendant que je suis ici, en prison, aucune autre mort n’est à déplorer. N’est-ce pas une bonne chose ? Et quand ils me pendront… Je sais qu’ils me pendront,
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