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Le héron de Guernica

Le héron de Guernica

Titel: Le héron de Guernica Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine Choplin
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s’ouvrent à nouveau, avec plus d’ampleur cette fois. Son corps s’incline vers le devant et il accélère sa progression sur le fond des eaux du marais alors que le battement des ailes finit par trouver un rythme, lent et régulier.
    Dans cet élan vers l’avant, le héron semble vouloir embrasser l’air au moyen de ses grandes rémiges noirâtres. Sa tête n’est plus qu’une petite chose, posée au bout du S parfait dessiné par le cou, à proximité de la racine des ailes.
    Bientôt, les pattes ne font plus qu’effleurer l’eau et pendent mollement vers l’arrière, à l’oblique. Il peine à gagner de l’altitude et se fraye d’abord un passage entre les bouquets d’aulnes avant de disparaître à la vue de Rafaël et Basilio.
    T’as vu ça, fait Basilio, le regard toujours tendu vers la trouée par laquelle s’est envolé le héron.
    Hein, t’as vu ça, il répète et cette fois, il se retourne vers Rafaël et voit son air maussade.
    Tu me fais marrer, grogne Rafaël.
    Pourquoi ?
    Et tu me demandes pourquoi. Alors celle-là.
    Il force un éclat de rire.
    T’as l’aviation allemande qui nous passe à ras la casquette et qui balance des bombes sur nos maisons et tu voudrais qu’on s’émerveille devant un héron qui s’envole.
    Basilio, bouche bée.
    T’es vraiment dingue, continue Rafaël.
    Basilio, silencieux, le regard fixe.
    À nouveau, le battement rapide et continu des cloches de Santa Maria.
    Merde, fait Rafaël.
    Ça fait peur, dit Basilio. Ça me fait un drôle de truc aux cheveux.
    Moi aussi, c’est pareil que toi. Allez, planque-toi, mets-toi contre l’arbre.
    Ils entendent grossir le vrombissement du moteur d’avion.
    Planque-toi, je te dis.
    Des bruits de tonnerre sur la ville, l’avion à très basse altitude au-dessus du marais.
    Je vais là-bas, dit Basilio juste après qu’il soit passé.
    Mais non, attends un peu. C’est beaucoup trop dangereux. Et puis, ça sert à rien.
    Le large virage du Heinkel, le piqué en retour vers Guernica. Basilio commence à courir vers le pont. Rafaël lui hurle quelque chose qu’il ne peut entendre à cause de l’avion.
    Une fois sur la rive de la Mundaca, il fait volte-face.
    Là-bas, les coups portés sur la ville, à lui briser les os.
    Basilio revient vers Rafaël qui cette fois, l’observe sans rien dire, stupéfait. Il s’agenouille près de la souche et ramasse son matériel, palette, couleurs, brosses ; range le tout dans le coffret. Il glisse aussi sa peinture dans le carton et accroche le tout aux branches du grand aulne.
    Tu devrais pas y aller, dit Rafaël.

LES TAURILLONS ÉTINCELANTS

Tandis que Basilio remonte la Calle Don Tello, ce sont maintenant trois Heinkel allemands qui bombardent le centre de Guernica, presque sans relâche, n’offrant pour trêve minuscule que le temps qu’ils mettent à virer aux lisières de la ville afin de revenir de plus belle.
    Au passage des avions, Basilio se recroqueville au sol, les fesses sur les talons, les paumes rabattues sur les oreilles. Il attend ainsi, les chairs tremblantes, que s’apaisent les fracas. Alors il se relève, sonné et brinquebalant comme un ivrogne qui en tiendrait une bonne. Haletant, il reprend sa progression.
    Il passe ainsi devant chez lui. Marque à peine le pas avant de poursuivre son chemin. Il n’a même pas un coup d’œil pour la petite mercerie dont Celestina lui a parlé et qui se trouve là, de l’autre côté de la rue, presque en face.
    Sa démarche est inégale, parfois alerte et rapide, parfois presque suspendue.
    Son regard reste tendu vers le nuage opaque qui enveloppe le quartier du marché. C’est à trois ou quatre cents mètres de là. En quelques endroits, des flammes percent, fugitives, le rideau sombre des fumées. On voit courir des hommes et des femmes. Parfois, ils hurlent des mots que Basilio, encore trop loin, ne peut comprendre.
    Un peu après, il y a le cheval à demi calciné de la croupe à l’encolure. Il est encore secoué de rares soubresauts. Il a cessé de tirer sur sa chaîne ; il gît sur l’échine à l’entrée de l’étable, les fers en l’air. Sa langue sort comme un dard de la gueule restée grande ouverte.
    Parmi les marcheurs affolés qui le contournent, certains portent la main à la bouche.
    De ce côté, le feu dévore, facile, le bois des maisons assemblées ; son crépitement est comme un souffle, éraillé et puissant.
    La tête rentrée dans les épaules, Basilio s’engouffre dans le

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