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Le héron de Guernica

Le héron de Guernica

Titel: Le héron de Guernica Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine Choplin
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à l’eau.
    Ben oui.
    Rafaël traîne le filet jusqu’au bord de la rivière.
    T’as un coin pour ça ?
    Un trou d’eau, juste par là. Voilà, c’est ici.
    C’est un sale moment quand même, dit Basilio.
    Ça dure pas longtemps.
    Et il pousse le filet rempli de mouettes dans le trou d’eau. Les cris stridents de celles qui surnagent, les claquements d’ailes dans l’eau, les éclaboussures. À l’aide d’un branchage, Rafaël enfonce et maintient le filet de mouettes sous la surface de l’eau. Le silence se fait d’un coup.
    C’est surtout de les plumer qui prend du temps, dit Rafaël.
    Un temps. Basilio, le regard capté par les formes incertaines des mouettes à l’agonie sous la surface de l’eau.
    Il y avait un héron tout à l’heure vers les roseaux, dit Rafaël.
    Un héron ?
    Ben oui. Je sais que tu aimes bien les hérons, c’est pour ça que je te le dis.
    Une partie du filet remonte à la surface. Rafaël réajuste la position de son branchage et se remet à peser dessus.
    T’as raison au sujet des hérons, dit Basilio. Je les aime bien, et surtout celui-là. Ça fait pas mal de temps que j’essaie de le peindre. C’est pas facile. Là il a disparu, à cause de l’avion.
    Tu l’as bien vu, l’avion ?
    Si je l’ai vu.
    C’était un Heinkel allemand.
    Ils gardent un instant le silence.
    En tout cas, dit Basilio en essayant de plaisanter, j’en connais qui n’ont plus rien à craindre des avions allemands.
    On va les sortir, dit Rafaël en jetant son branchage. Tu peux m’aider si tu veux. C’est vraiment lourd.
    Et tous les deux, avec peine, ils sortent le filet détrempé du trou d’eau, avec les cadavres de mouettes aux regards étranges.
    Une fois plumées, tu vas en tirer un bon prix, hein ? demande Basilio.
    C’est sûr, dit Rafaël.
    Et puisqu’ils parlent de ça, Basilio raconte comment il a réussi à vendre le cochon au marché, et aussi les haricots. Pendant ce temps, Rafaël libère les mouettes du filet et les empile avec soin dans une caisse en bois.
    Soudain, tous les deux s’immobilisent.
    T’entends ça ? demande Rafaël.
    On dirait les cloches de Santa Maria, fait Basilio.
    Oui, c’est bien ça.
    Un instant après, ils entendent le ronronnement crescendo d’un moteur d’avion.
    Ils scrutent entre les arbres, en direction de l’est.
    Ce doit être le Heinkel de tout à l’heure, dit Rafaël.
    À quelques centaines de mètres du pont, vers le cœur de la ville, un mur de poussière sort soudain de terre. Une seconde plus tard, le souffle de la déflagration les plaque au sol. L’avion passe quelque part au-dessus d’eux sans qu’ils parviennent à l’apercevoir.
    Ils larguent des bombes, souffle Rafaël.
    Basilio a les yeux écarquillés.
    Je me demande bien où c’est tombé, dit encore Rafaël.
    En respirant à peine, ils prêtent attention aux modulations sonores rendues par le moteur du Heinkel. Ils comprennent qu’il est allé virer plus loin vers l’ouest avant de revenir piquer sur Guernica. Cette fois, il passe juste à la verticale du marais et ils peuvent voir les bombes qui se détachent doucement du ventre de l’appareil.
    T’as vu ça, chuchote Basilio les mains sur les oreilles.
    Rafaël ne dit rien.
    Cette fois, ils gardent le visage contre le sol, sans regarder vers la ville. Trois explosions aussi puissantes que la première se succèdent en moins de dix secondes.
    Après, c’est un calme curieux qui se réinstalle, comme empli d’harmoniques et de résonances fossiles.
    Les cloches de Santa Maria ont cessé de battre.
    Basilio regarde Rafaël. Il remarque les tressaillements qui agitent son menton. Il se redresse, s’assoit, le buste droit. Rafaël fait comme lui. Ils restent silencieux, comme ça, les yeux dans le vide.
    Au bout d’un moment, ils entendent ce très léger froissement du côté de la roselière. Rafaël tend le bras.
    Tu vas pouvoir continuer à peindre, il dit.
    Le héron se tient là, debout dans les eaux peu profondes du marais. Son cou vertical semble démesuré. Le bec se déplace par saccades ; parfois il se dresse vers le haut et s’immobilise ainsi un court instant, presque dans l’axe du cou.
    Peut-être qu’il va s’envoler, murmure Basilio. C’est beau à voir, quand il s’envole.
    Le héron déploie ses ailes, le temps de quelques battements lents et maladroits. Puis les replie. Il avance de quelques pas vers le centre du marais.
    Il va partir, dit Basilio. C’est sûr.
    Les ailes

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