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Le héron de Guernica

Le héron de Guernica

Titel: Le héron de Guernica Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine Choplin
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sommet de la pile.
    Je sais pas trop.
    Écoute, j’étais en train de lire ça quand tu es arrivé : Ô malheureux mortels ! ô terre déplorable ! ô de tous les mortels assemblage effroyable ! D’inutiles douleurs éternel entretien ! Philosophes trompés qui criez : « Tout est bien  » ; Accourez, contemplez ces ruines affreuses, Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses, Ces femmes, ces enfants l’un sur l’autre entassés, Sous ces marbres rompus ces membres dispersés… On dirait que c’est d’actualité, hein ?
    Oui.
    Eh bien, Voltaire a écrit ça au sujet du tremblement de terre de Lisbonne.
    Un tremblement de terre, c’est à la fois pareil et pas pareil, dit Basilio.
    T’as raison. Ici à Guernica, les hommes ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes.
    Un temps.
    Pour ce qui est de la poésie, dit Basilio, je me souviens seulement de : Petit marin au corps gracile…
    Et Bolin ajoute sa voix à celle de Basilio : Louis de Gonzague de la mer, comme elle était fraîche ta pêche quand elle tombait de tes mailles !
    J’aime beaucoup Alberti, dit Bolin. Et c’est drôle que tu te souviennes de ses vers à lui parce que sans cette maladie aux poumons, il serait devenu peintre. Il a réalisé de très bonnes copies de Zurbaran.
    C’est que je m’y connais pas trop, dit Basilio.
    Bolin vide son verre, Basilio boit une gorgée.
    Je t’ai vu avec la petite, hier au bal, dit Bolin.
    Basilio, silencieux.
    Comment s’appelle-t-elle ?
    Celestina.
    Débrouille-toi pour la garder, celle-là.
    J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. Elle travaille à l’usine de confiserie.
    De ce côté-là, ça risque rien. C’est juste à côté de chez Uncate, l’usine d’armement qui fricote avec les nationalistes. Ça m’étonnerait fort qu’ils fassent tomber des bombes dans ce secteur.
    J’aime mieux ça, dit Basilio.
    Si tu veux, j’irai quand même jeter un coup d’œil là-bas, dit Bolin. De toute façon, j’en ai assez de croupir ici. Et toi, tu devrais aller te mettre à l’abri, à San Juan ou à Santa Maria. Tu y retrouveras sans doute ton oncle.
    Et comme Bolin voit que Basilio reste hésitant, il répète qu’il va aller voir, du côté de chez Uncate et de la confiserie.

Basilio a fait le détour par les Carmélites avec l’espoir de croiser le regard de Maria.
    Il se tient un instant aux aguets devant les grilles d’entrée, au beau milieu du désordre et du vacarme régnant à cet endroit, parmi les blessés et tous ceux venus avec l’espoir de trouver un abri sûr.
    On le bouscule, on le prie de s’écarter, de laisser passer.
    Il se promet de revenir un peu plus tard.
    Avant de s’éloigner, il a demandé à deux sœurs portant un brancard si on avait vu arriver son oncle ici, Augusto Ellere, c’est son nom, un boiteux à deux cannes. L’une des sœurs, pas très aimable, s’est contentée de lui répondre qu’il en avait de bonnes, avec les dizaines de personnes qu’on leur amenait ici sans discontinuer.
    Basilio court maintenant le long de la Calle Salazar.
    Avec l’intensité des bombardements, la rue est presque désertée. Ici et là pourtant, des hommes et des femmes se tiennent recroquevillés et immobiles, au ras du sol, dans des recoins, à l’arrière de piliers. Parfois, ils s’étreignent de peur, les bras passés autour des épaules.
    Basilio s’abrite un moment sous l’arche du bâtiment de police. De là, il peut entendre le mitraillage nourri des soldats postés sur le toit de Santa Clara.
    Il risque un œil vers le bas de la rue, qui à deux cents mètres environ, s’ouvre sur la place de la Gare. Il aperçoit le restant de la façade de l’hôtel Arrue qui semble avoir été découpée avec précision et régularité au-dessus du premier étage.
    Là-bas, ils doivent être six ou sept au seuil de l’espace ouvert. Ils se sont massés, à la lisière de la place, côté nord. Derrière l’homme incliné qui se tient devant, les autres forment une grappe compacte. Ils hésitent à traverser.
    Plusieurs fois, le fracas causé par une salve d’impacts proches les fait reculer. Disparaître, presque, dans la nuée de poussière soulevée. Et puis, Basilio voit se redessiner leurs silhouettes courbes.
    Ils se décident. L’homme devant prend quelques mètres d’avance, puis ralentit. D’un geste de bras, il invite les autres à le suivre. Ils se rassemblent presque, atteignent le milieu de la place. On entend le cri de

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