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Le héron de Guernica

Le héron de Guernica

Titel: Le héron de Guernica Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine Choplin
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quittent pas des yeux.
    Des voix, de plus en plus nombreuses, des cris parfois ; un brouhaha grandissant s’insinue parmi le fracas. Il semble provenir de l’église.
    Tu entends ça ? demande le curé.
    Oui, mais je comprends pas ce qu’ils disent, fait Basilio.
    Chut, écoute encore.
    Des jambes nerveuses, des jambes par dizaines, traversent le haut de la vignette ronde et lumineuse.
    Qu’est-ce qu’ils fabriquent.
    Évacuez dans le calme, entend-on soudain distinctement.
    Le regard du père Eusebio se teinte de gravité.
    Dans le calme, hurle quelqu’un.
    Des dizaines et des dizaines de jambes sur le parvis, en fuite.
    À quatre pattes, Eusebio s’avance vers l’extrémité du conduit.
    L’air chargé de poussières sèches.
    Ça y est, ils s’éloignent, annonce un homme d’une voix puissante qui se tient à la porte de l’église. Dépêchez.
    L’écho, encore, de quelques frappes plus lointaines, vers le sud.
    Les flammes qui crèvent la nuée pâle des poussières doivent faire dans les dix mètres au moins.
    Allons, dépêchez, ne cesse de répéter l’homme tandis que l’on quitte l’église San Juan au pas de course.
    Mon église, murmure le père Eusebio.
    Basilio s’est rapproché à son tour de l’extrémité du conduit.
    Tu vois ça. Ils ont incendié mon église.
    Durant quelques secondes, ils se tiennent immobiles, au spectacle du feu enveloppant le flanc ouest de l’église et des gens précipités sur le parvis, hésitant un instant avant de s’éloigner au hasard parmi les rues.
    Le père Eusebio quitte son abri et traverse le parvis les deux poings levés au ciel.
    Salauds ! Salauds !
    Et puis se retournant vers Basilio : Prends des photos, Basilio. Vas-y. Prends-en.
    Et en dépit des protestations et des conseils de prudence, il se faufile dans l’église, à contre-courant du flot d’hommes et de femmes, d’enfants aussi, sans cesser de psalmodier Miséricorde, miséricorde pour tous au beau milieu de la petite bousculade qu’il provoque.

LES ÉCLAIRS BLANCS

Finalement, il a bien fallu emmener le père Eusebio de force jusqu’au Refuge.
    Encadré par deux costauds un peu embarrassés qui l’ont empoigné aux aisselles, il a rejoint la Calle Santa Maria en marche arrière, maugréant et traînant les pieds au sol.
    Y a rien à faire, curé, juste à se mettre à l’abri, a dit plusieurs fois l’un des deux gars.
    Basilio a trottiné à leurs côtés en tenant l’appareil photo.
    J’en ai fait des bonnes, tu vas voir, il n’a cessé de répéter à l’attention d’Eusebio.
    Mais le curé ne lui a pas prêté attention, le visage tendu vers son église en flammes.
    Au Refuge, des dizaines de personnes se pressent contre la haute porte en bois à peine entrouverte. Certains frappent du poing contre les battants.
    C’est pas la peine, dit un homme en s’éloignant, le front luisant de sueur et les yeux rougis. C’est devenu irrespirable, là-dedans. Tant qu’à faire, mieux vaut crever à l’air libre.
    Miséricorde, souffle le père Eusebio.
    Laissez passer, hurle une voix depuis l’intérieur.
    Une voix que Basilio reconnaît.
    C’est la voix de Julian, s’écrie Basilio à l’attention d’Eusebio. Julian, le fermier.
    La porte s’entrouvre et Basilio finit par distinguer la silhouette du vieux Julian, vacillant sous le poids d’Augusto tout entier appuyé sur lui, la tête brinquebalant contre son épaule.
    Mes cannes ! fait Augusto dans un râle.
    Quoi, les cannes ? proteste Julian.
    Pense à prendre mes cannes.
    Et il se met à tousser salement, avec de drôles de sifflements.
    Ah le vieux filou, fait Julian. Tu le crois mourant et lui, il pense encore à ses cannes. Je t’en foutrais. Allez, en route. Faites la place devant, poussez-vous.
    Ah je suis rudement content de vous retrouver, dit Basilio qui s’est approché. Et Rafael ?
    Un gars l’a croisé alors qu’il était en chemin vers la ferme, répond Julian.
    Alors ça va, dit Basilio.
    Augusto reprend appui sur ses deux cannes et comme Basilio cherche à le soutenir d’une main, il se dégage en disant qu’il est assez costaud pour se débrouiller tout seul.
    Augusto met quand même plusieurs minutes pour retrouver le cours normal de sa respiration.
    Après quoi, Julian explique qu’ils vont essayer de remonter jusqu’à l’église Santa Maria.
    J’aimerais autant crever à la Taverne, dit Augusto. Faudrait déjà que tes jambes soient foutues de te porter jusque-là,

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