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Le héron de Guernica

Le héron de Guernica

Titel: Le héron de Guernica Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Antoine Choplin
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pauvres gens.
    Eusebio a les yeux baissés. Ses mains se rejoignent.
    J’ai fait treize photographies des avions et une autre un peu différente.
    Du moment que tu les as eus et qu’on a des preuves de tout ça. Qu’on puisse faire savoir ce qui s’est passé ici, à Guernica, c’est ça qui compte.
    J’ai photographié la bicyclette, aussi.
    Quelle bicyclette ?
    Celle qu’on voit là-bas, couchée par terre au milieu de la place.
    C’est une drôle d’idée, dit le père Eusebio en regardant vers la bicyclette.
    Les avions, ça suffit pas pour raconter ce qui se passe ici, dit Basilio. Dès que tu te mets la tête sous le drap noir et l’œil dans le viseur, tu te rends compte que ça suffit pas.
    Si on peut voir les bombardiers juste là, au-dessus des toits, c’est déjà beaucoup, non ?
    Sur la photographie, on verra les bombardiers.
    Ben oui, bien sûr, Basilio. Les bombardiers.
    Le front plissé, le regard inquiet du père Eusebio.
    Je veux dire, continue Basilio, on verra que les bombardiers. Ils prendront toute la place, sur la photographie. Surtout que ça occupe beaucoup de place, un bombardier.
    C’est bien ce qu’il nous faut, bredouille le curé.
    C’est pas comme une bicyclette.
    Je ne comprends pas ce que tu veux dire.
    Rien que ça, une bicyclette qui repose à terre, au milieu d’une place déserte. Je crois que c’est pas mal pour donner à deviner tout ce qu’on voit pas sur l’image. Toutes ces choses qui flottent dans l’air et qui fabriquent notre peur de maintenant. Qu’on peut pas graver sur du papier mais qui nous empêchent presque de respirer, par moments. Tu vois ce que je veux dire ?
    Oui.
    Alors je trouve que cette image de bicyclette, elle fait la place à tout ça et c’est dans ce sens qu’elle vaut bien une photographie de bombardier.
    Le père Eusebio hoche lentement la tête en fixant Basilio. Un léger sourire point à ses lèvres.
    L’artiste n’est jamais très loin, hein Basilio.
    Basilio ne dit rien.
    C’est bien le peintre qui parle, non ?
    Je sais pas. La peinture, c’est différent.
    Vraiment ?
    La peinture, on sait bien que c’est pas la réalité. Et c’est bien normal, le pinceau, c’est pas une plaque photographique.
    Un temps.
    Évidemment, dit le curé. Tu vois, je me demande si, toi et moi, on s’intéresse pas aux mêmes choses en fait.
    Basilio lève les yeux.
    Toutes les choses qu’on ne voit pas. Tout ce qui palpite sans figurer sur les images, ce qu’on éprouve avec force et qui se refuse à nos sens premiers. Et dont on voudrait tellement témoigner pourtant.
    Ah oui, ça c’est vrai, cette envie de témoigner, dit Basilio.
    Eh bien, tout ce vivant invisible qui ne rentre dans aucun cadre pour la bonne raison qu’il est lui-même le cadre de tout, je crois bien qu’il porte un nom. Et c’est notre Seigneur Dieu tout-puissant, qu’il s’appelle.
    Le regard de Basilio s’attarde un instant sur le visage du curé avant de glisser vers le côté, en direction de l’église, puis des espaces au-delà.
    C’est quand même une drôle d’idée, dit Basilio au bout d’un moment.
    Je préfère parler de foi plutôt que de drôle d’idée, fait le père Eusebio en souriant.
    C’est une drôle d’idée, continue Basilio comme s’il n’avait pas entendu le curé, le front tendu vers l’horizon aux carlingues, parce que si c’est ça, j’aimerais bien savoir à quoi il pense, ton Seigneur Dieu tout-puissant, une journée comme aujourd’hui.
    Eusebio, un instant silencieux.
    Il ne nous abandonnera pas, finit-il par dire. Il faut garder espoir.
    Vraiment, mais à quoi est-ce qu’il peut bien penser, bredouille encore Basilio, les yeux vides.

Après, ça se remet à dégringoler des nuages, le fer et le feu.
    Et cette fois, ça cogne juste là, sur le quartier San Juan.
    À chaque impact, la bicyclette couchée sur le parvis est prise de sursauts et la roue avant tourne à vide, presque en continu.
    Le père Eusebio réussit à prendre plusieurs photographies des avions avant de s’enfoncer dans le conduit pour se mettre à l’abri, aux côtés de Basilio.
    C’est mon ami Felipe qui va être content, il dit.
    Et il cale son épaule contre celle de Basilio.
    À quelques mètres d’eux, cinq ou six tout au plus, se découpe avec netteté cette petite vignette ronde et lumineuse, comme une lunette braquée sur une infime partie du monde dans laquelle s’insèrent la bicyclette et un morceau du parvis.
    Ils ne la

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