Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le jardin d'Adélie

Le jardin d'Adélie

Titel: Le jardin d'Adélie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Marie Bourassa
Vom Netzwerk:
curieux d’admirer et même de toucher ses plaies vives au creux des mains, sur le dessus des pieds et au côté. Saisis de respect pour cet homme souffrant qui exhalait jusqu’à l’odeur de sa sainteté, les gens reculaient en lui livrant passage. Effectivement, ses plaies sentaient les roses.
    — Le Seigneur a céans besoin de votre secours, frères, reprit Magister d’une voix vibrante. Cette pestilence qui tombe sur nous en plus des Anglais est le fait du Malin. Priez ! Priez pour le salut de votre âme, car la fin est proche. Priez et joignez-vous à nous afin qu’ensemble nous puissions enlever le mal du monde. Il nous faut l’aller chercher et le retrancher comme un membre malade, atteint d’une pourriture abjecte !
    Un éclair d’acier passa dans son regard extasié, fascinant. Ses cheveux et sa jeune barbe blonde se changèrent en or pur sous un rayon de soleil qui le frappa d’une façon on ne peut plus opportune. Il leva sa crosse en un geste solennel de malédiction. On eût dit un ange vengeur.
    — Les juifs. Des rats humains. La voilà, votre engeance {57} .
    Quelques personnes filèrent discrètement et produisirent un certain remous. La foule subjuguée n’osa pas arrêter les fuyards. On échangea quelques regards gênés.
    — Mes frères, si vous aimez votre Père céleste, aidez-Le à guérir le monde qu’il a créé si bellement. Donnez-nous vos circoncis. Nous nous chargerons de nettoyer votre cité de ce pus. Voyez, nous sommes vos mires* !
    Magister et ses acolytes n’ignoraient pas que là se trouvait la véritable mine d’or. Pour protéger leurs juifs des sévices ou, le cas échéant, quelques maisons du pillage, les habitants du quartier n’hésitaient pas à se cotiser pour offrir un don substantiel au groupe. Cela ne fonctionnait pas avec toutes les hardes de Pénitents, souvent davantage assoiffées de sang que de butin, mais le groupe de Magister avait jusque-là consenti à se laisser détourner de ses noirs desseins, et cela lui avait fort profité. L’inconvénient majeur du procédé tenait cependant au temps et à l’énergie qu’il exigeait de la part des membres. « Cependant, cette fois-ci, ce sera aisé », se disait le chef avec satisfaction.
    Six Pénitents un peu trop vigoureux s’étaient mêlés à ceux qui avaient subi des mauvais traitements bien réels. Ils arboraient fièrement leurs faux cilices qui contribuaient à parfaire l’artifice en détournant un peu l’attention. Ces mystiques entonnèrent une complainte morne en se frappant. Louis remarqua comment ils se passaient la lanière dans la main avant chaque coup et il s’aperçut que leur paume avait été abondamment badigeonnée d’ocre rouge, ce qui leur permettait de se ménager tout en faisant croire le contraire. Mais il fallait tout de même un peu d’authenticité pour rendre le spectacle crédible. Ils se contentaient habituellement d’appliquer le scorpion à l’un des misérables choisi au hasard. Ses supplications et ses gémissements triplaient la taille de la foule. Mais ces démonstrations exigeaient beaucoup de temps ; il n’était pas rare que la nuit tombe à leur départ.
    Magister tourna la tête. Aujourd’hui, ils allaient faire fortune en un rien de temps. L’un des membres du groupe lui en avait fait la promesse. Il sourit et tâcha de ne pas porter le regard trop fréquemment du côté de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés. Il s’avança vers la foule et pointa son crucifix en forme de dague sur chacun des assistants à tour de rôle.
    — Point de juifs ? Vous en êtes bien sûrs ? Ils sont pourtant comme les rats, ils pullulent dans toutes les cités. Toi, vieil homme ? Non ? Bas les braies que je vérifie tes dires.
    Le pauvre vieillard barbu à qui cette demande était adressée n’eut d’autre choix que d’obtempérer, car personne n’osait se porter à sa défense. Il n’était heureusement pas circoncis. Les quelques autres hommes qui attirèrent ensuite l’attention du prêtre ne l’étaient pas non plus.
    — C’est là grand dommage. Oui, vraiment. Ces canailles que vous avez laissées devant moi regagner leurs taudis crasseux étaient des juifs. Vous m’avez menti et, à travers moi, au Créateur.
    Les Pénitents en santé encerclèrent sans dire un mot une dizaine de bourgeois cossus.
    — Vous devrez donc expier dans la souffrance.
    Il planta sa croix dans le sol, entre les pieds d’un homme qu’il reconnut comme

Weitere Kostenlose Bücher